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23/06/13

Boycott et critique de la politique israélienne, par Paul ALLIES

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Ce jeudi avait lieu à Perpignan un procès de trois militant(e)s du « Collectif Paix et justice en Palestine », poursuivis pour avoir mené le 15 mai 2010 une action d’information des consommateurs du magasin Carrefour de cette ville, les appelant au boycott des produits exportés par Israël. Défendu par plusieurs avocats dont M° Antoine Comte, ils risquent 45000€ d’amendes et cinq ans de prison sur la base d’une invraisemblable directive prise par Michèle Alliot-Marie, Ministre de la justice le 12 février 2010. Avec Michel Warchawski, président du Centre d’Information alternative de Jérusalem et André Rosevegue, président de l’Union Juive Française pour la Paix, j’étais cité comme témoin de moralité. On peut lire ci-après la trame de ma déposition à la barre du tribunal.

« Pourquoi je témoigne en faveur des inculpés à ce procès ?

1) En vertu de mon engagement personnel le plus ancien:

-Responsable des Jeunesses Etudiantes Chrétiennes (JEC) dans le diocèse de Montpellier quand j’étais étudiant à la Faculté de Droit de Montpellier (1964) j’engage ce mouvement contre l’apartheid en Afrique du Sud après la condamnation à la prison à perpétuité de Nelson Mandela en 1964. Le boycott des Oranges Outspan (mais aussi de Total) sera un terrain privilégié et populaire jusqu’en 1978. Montpellier, ville particulièrement impliquée dans ce mouvement, en a gardé  la mémoire : c’est ce qu’a voulu la municipalité en donnant en 1978 à une de ses rues le nom d’Albert LUTHULLI, président de l’ANC et prix Nobel de la Paix en 1960 pour son action contre l’Apartheid.

-Chargé des cours de Droit Constitutionnel en 1980 puis d’Histoire politique de la France contemporaine à la Faculté de Droit de Montpellier, j’y ai abordé régulièrement la question du régime de Vichy (très peu traitée à l’époque dans ces enseignements dans les Facultés de Droit) en particulier sur la question de ses responsabilités dans le crime de bureau et de masse; mais aussi de celles des élites politiques et administratives de la France d’alors dans l’extermination des Juifs. Il faudra attendre la déclaration de Jacques Chirac pour l’anniversaire de la rafle du Vel d’hiv le 16 juillet 1995 pour que cette question soit officiellement tranchée. Dans ces cours, je mettais en évidence le fait que les Juifs de France aient été depuis 1789 à l’avant-garde dans la lutte pour les droits civiques, l’égalité devant la loi, la démocratie et la séparation de l’Eglise et de l’Etat ; l’antisémitisme dont la France a été le berceau dès les années 1880 s’est en grande partie nourri de ce fait. Il est donc à mes yeux particulièrement scandaleux de confondre aujourd’hui l’antisémitisme avec l’opposition à la politique de l’Etat d’Israël.

-Conseiller régional du Languedoc-Roussillon, je refuse de voter le 25 juin 2009, un avenant à un aménagement du port de Sète pour la société AGREXCO au motif qu’elle est contrôlée à 50% par l’Etat d’Israël et que son activité repose sur l’exportation de colonies implantées dans les territoires palestiniens lesquels sont interdits d’importation au sein de l’Union Européenne. Le 7 mars 2010 je représente à Sète Hélène Mandroux, maire de Montpellier, par ailleurs à la tête de la liste socialiste pour les élections régionales à une marche pour le boycott d’Agrexco.

2) En vertu de mon action constante pour le respect du droit :

-En tant que citoyen, j’ai participé à plusieurs actions de boycott à l’occasion de l’invasion soviétique de l’Afghanistan en 1979 jusqu’à la signature d’une pétition en ce sens contre l’Euro 2012 de Football en Ukraine (contre l’emprisonnement de l’opposante Timochenko). Les campagnes pacifiques de désobéissance civile s’adressant à la conscience des usagers, utilisateurs et consommateurs font partie de la tradition militante française. Celle-ci est forte d’un engagement des associations et mouvements démocratiques dans le débat d’idées et la mobilisation internationale. Conformément à cette tradition, j’ai soutenu l’appel émanant de la société civile palestinienne en 2005. Et je prends soin, en tant que titulaire d’une carte de fidélité des magasins Carrefour à ne pas y acheter des produits alimentaires en provenance des colonies israéliennes en Palestine.

-En tant que professeur des Facultés de Droit, j’adhère parfaitement à l’idée qui est à la base de cet appel à savoir « la seule exigence est qu’Israël honore son obligation de reconnaître le droit inaliénable des palestiniens à l’autodétermination et respecte entièrement les dispositions des lois internationales ». Ce qui n’est toujours pas le cas après 32 résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU, l’arrêt de la Cour Internationale de Justice sur la construction du mur en Cisjordanie de juillet 2004, les condamnations par les Gouvernements des bombardements massifs sur Gaza en 2008 et de la poursuite sans fin de la colonisation des territoires (à l’origine des exclusions commerciales prises par l’Union Européenne pour les produits importés de ces derniers). Le problème est que les Etats et la communauté internationale s’avèrent incapables d’exercer les pressions suffisantes pour faire respecter leurs mesures. Cette impuissance appelle donc une mobilisation de la société civile.  Et ce n’est pas Israël qui est visé en tant qu’Etat par la campagne de boycott, mais bien sa politique.

-En tant que Doyen honoraire de la Faculté de Droit, j’ai mis en chantier la signature d’une convention avec l’Université Al Qud de Jérusalem (la plus ancienne université arabe de cette ville, crée en 1975 et qui est placée sous la juridiction de l’Etat d’Israël). Après bien des difficultés, cette signature a été acquise en 2007. Elle n’a pu jusqu’ici être activée tant les difficultés sont considérables en matière d’échanges d’étudiants et d’enseignants. Dans le domaine universitaire aussi les violations du droit et des libertés académiques sont permanentes. C’est pourquoi j’ai soutenu l’appel au boycott des universités israéliennes lancé par l’Association des Professeurs d’Université britanniques en 2005 en s’inspirant du boycott des universités sud-africaines à l’époque de l’apartheid. Cet appel a suscité une vive polémique dans la communauté universitaire. Il reste qu’il me semble justifié par le fait que le boycott est l’une des formes les plus justes moralement pour libérer l’oppresseur de son oppression, tout particulièrement chez les intellectuels.

Il ressort de tout cela que l’action des personnes que vous êtes appelés à juger aujourd’hui m’apparaît comme parfaitement conforme à la défense du droit et des libertés fondamentales dans notre pays. Elle met en évidence l’incongruité de cette directive du 12 février 2010 de la Ministre de la Justice d’alors (Mme Alliot-Marie) qui force les procureurs de la République à les poursuivre en dépit de l’état du droit pénal positif. Celui-ci ne contient heureusement aucune disposition contraire à la liberté d’expression telle que reconnue et protégée par toutes les grandes conventions internationales. Si bien que, pour exister la directive en question exploite trois lois qui n’ont rien à voir avec le sujet : celle du 1° juillet 1972 contre la provocation à la discrimination , la haine ou la violence contre un personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine ou appartenance à une ethnie, nation, race ou religion déterminée ; celle du 30 décembre 2004 pour le même motif mais à raison de leur sexe, handicap ou orientation sexuelle ; celle enfin du 7 juillet 1977 contre le boycott par certains pays d’entreprises françaises ayant des relations commerciales avec Israël. Il est invraisemblable que cette directive qui viole le principe d’interprétation stricte en droit pénal soit toujours en vigueur un an après l’arrivée de Christiane Taubira à la Chancellerie.

Voilà pourquoi je continuerai à boycotter les produits israéliens dès lors que l’origine de leur provenance des colonies n’est pas indiquée: c’est pour moi la continuation de mon combat contre l’antisémitisme par d’autres moyens, parfaitement nobles et légitimes, conforme à la meilleure tradition française de démocratie et de civisme.

21 juin 2013

Source : http://blogs.mediapart.fr/blog/paul-allies/210613/boycott-et-critique-de-la-politique-israelienne