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08/05/15

Ce que craint Israël avec le succès du mouvement de Boycott, Désinvestissement et Sanctions

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Des amendements à la Chambre et au Sénat [étatsuniens] prennent pour cible le mouvement BDS. C’est donc qu’il doit être en train de faire quelque chose de bien.

David Palumbo-Liu

La plupart des gens comprennent comment les politiciens se servent du processus de l’amendement pour ajouter après coup des messages apparemment sans lien, mais politiquement efficaces, pour une autre législation qui n’a rien d’habituel et d’inoffensif. Qui aurait imaginé qu’un projet de loi ordinaire relatif au commerce serait utilisé pour prendre une position controversée, et même radicale, sur le conflit Israël-Palestine, et en particulier sur le mouvement de Boycott, Désinvestissement et Sanctions ? Et pourtant, c’est exactement ce qui est arrivé.

Récemment, la Chambre et le Sénat ont voté des amendements similaires au projet de loi qui autorise les négociations pour le Partenariat transatlantique pour le commerce et l’investissement (TTIP) avec l’Europe, des amendements qui tentent, d’un coup de plume, de légaliser les colonies israéliennes qui sont reconnues comme illégales tant par les Nations-Unies que par le droit international. Allant à l’inverse, les amendements sanctionnent les entreprises pour leur respect du droit international destiné à protéger contre la colonisation.

L’amendement à la Chambre, co-parrainé par Peter Roskam de l’Illinois, et Juan Vargas de Californie, comprend un passage déclarant que « l’objectif principal des USA dans les négociations » inclurait désormais de décourager à la fois « les actions, par des partenaires commerciaux potentiels, qui porteraient directement ou indirectement préjudice ou décourageraient une activité commerciale entre les États-Unis et uniquement Israël », et « les actions politiquement motivées pour le boycott, le désinvestissement ou des sanctions contre Israël et visant à l’élimination des barrières non tarifaires politiquement motivées sur les produits, services et autres commerces israéliens, imposées à l’État d’Israël ».

L’amendement au Sénat est quasiment le même ; deux amendements qui ciblent clairement le mouvement de Boycott, Désinvestissement et Sanctions en plein essor, lancé en 2005, en un effort parfaitement légal, non violent, pour le respect du droit international et des conventions des droits humains, et la reconnaissance et le rétablissement de leurs droits pour les Palestiniens. Les deux amendements tentent également d’occulter cette vérité gênante que l’occupation est illégale, et illégal aussi de faire du business avec des entreprises en Cisjordanie.

Ces amendements visent non seulement à faciliter, mais encore à normaliser le commerce avec les entreprises coloniales en Cisjordanie et à Jérusalem-Est, sous le prétexte qu’un tel commerce est en réalité tout aussi légitime que le commerce avec Israël lui-même. Cette initiative cherche à élider l’illégalité réelle et internationalement reconnue de l’occupation et celle, spécifique, de faire des affaires avec les entreprises de la colonisation. En utilisant cette expression, « en Israël ou sur les territoires contrôlés par Israël », les amendements fusionnent les deux, comme s’ils formaient une seule et même entité. Et, étrangement, comme J. J. Goldbert le fait remarquer, l’expression est « la même que celle d’un projet de loi anti-boycott israélien, voté par la Knesset en 2011 et confirmé par la Haute Cour de justice d’Israël il y a quelques jours, qui sanctionne les Israéliens prônant une forme ou une autre de boycott. »

Au niveau des États, nous trouvons un effort similaire pour vaincre le BDS. Au Tennessee, le journal Algemeiner rapporte que la résolution mixte 170 du Sénat stipule que le mouvement BDS est « l’un des principaux supports de diffusion de l’antisémitisme et de l’exhortation à l’élimination de l’État juif ». En outre, la résolution déclare que le mouvement BDS et son programme sont « intrinsèquement antithétiques et profondément dommageables pour les causes de la paix, de la justice, de l’égalité, de la démocratie et des droits de l’homme pour tous les peuples au Moyen-Orient ».

Si ce langage paraît familier, c’est par ce qu’il est : ces attaques virulentes contre le BDS au Congrès et au Tennessee sont la résonance des mots de Benjamin Netanyahu. Dans un discours de 2014 devant l’AIPAC, Netanyahu a critiqué le BDS à pas moins de 18 reprises : « Les tentatives de boycott, désinvestissement et de sanctions contre Israël, la démocratie la plus menacée sur terre, sont simplement le dernier chapitre de la longue et sombre histoire de l’antisémitisme. Ceux qui portent l’étiquette BDS devraient être traités exactement comme nous traitons tout antisémite ou doctrinaire. Ils devraient être dénoncés et condamnés ». Les propos de Netanyahu ne font que rabâcher l’équation aujourd’hui archiconnue entre ceux qui critiquent la politique israélienne et les antisémites, afin de donner à Israël l’immunité d’un questionnement raisonnable – comme, par exemple, la contestation de l’allégation qu’Israël serait la « démocratie la plus menacée sur terre », une fois qu’on l’a associée à ce qu’indique Netanyahu dans son évocation alarmiste des « foules » d’ « Arabes israéliens » venant voter aux dernières élections. Nous savons maintenant ce qu’il ressent être la plus grande menace à la « démocratie », et ce n’est pas le BDS. Dans un double mouvement, ensuite, nous voyons s’effondrer la distinction entre Israël et ses colonies, et entre la critique d’Israël et l’antisémitisme. La question est, faire que les gens gobent cela, et s’ils le gobent, pendant combien de temps vont-ils continuer à le gober ?

Et maintenant, la législature de l’État de l’Indiana a suivi celle du Tennessee en condamnant le BDS avec sa propre résolution, en réaction au succès des étudiants de l’institution Quaker, le collège Earlham, qui ont voté un projet de désinvestissement, et vendredi, les législateurs de l’Illinois prendront deux mesures anti-boycott :
–     Selon le Centre pour les droits constitutionnels (CCR), le projet 4011 de l’Illinois à la Chambre et le projet 1761 au Sénat contiennent une disposition qui oblige les fonds de pension de l’État à « créer des listes noires des entreprises qui boycottent Israël pour ses violations des droits de l’homme, et qui les mandate pour qu’ils retirent leurs investissements de ces entreprises ». La mesure a été adoptée mardi par le parquet de la Chambre et le comité judiciaire du Sénat.

–     Le CCR affirme qu’ « il faut s’opposer à ces projets (de boycott) afin de protéger le droit de se livrer à des boycotts reflètant une action collective pour répondre à des problèmes liés aux droits humains, action qui est, a déclaré la Cour suprême des États-Unis, protégée en tant qu’expression et activité associative ».

Il est clair que la pression des étudiants sur les campus, non seulement aux États-Unis mais aussi dans le monde entier, avec les mouvements de boycott dans des organisations professionnels et des syndicats, suscite ces mesures réactives. Et comme ces mesures sont destinées à être votées, cela crée un dilemme pour les Démocrates et les libéraux.

Il est notable qu’après l’apparition controversée de Netanyahu devant le Congrès, qui s’est aliénée l’Administration Obama et de nombreux démocrates au Congrès, et après son propos aux dernières élections selon lesquels il n’y aurait aucune solution à deux États sous son gouvernement, il y a eu a priori une brèche dans la politique américaine concernant le soutien autrefois solide à Israël. Désormais, alors que les Républicains poursuivent farouchement, voire accroissent, leur soutien à Israël, des Démocrates populaires commencent à se diviser sur la question. Néanmoins, les amendements au Congrès semblent indiquer qu’un changement sensible ne s’est pas encore produit au niveau de la direction, avec même un Démocrate comme Vargas à s’engager dans cette escroquerie bizarre.

En dépit de cela, si à notre Congrès et aux sièges de notre Parlement, nous pouvons considérer de telles tentatives comme témoignant de la force du lobby pro-Israël, en dehors de ces espaces, nous pouvons voir encore plus l’énorme efficacité qui est en ce moment celle du BDS (pourquoi autrement y concentrer une telle attention ?). Il constitue sans conteste l’unique alternative, la plus identifiable et la plus puissante, à la diplomatie conventionnelle, laquelle pendant des décennies s’est avérée totalement inefficace s’agissant des violations, de longue date, par Israël du droit international et des conventions et pactes relatifs aux droits de l’homme. Il ne fait aucun doute qu’avec Netanyahu à la barre, tout changement devra émaner de l’extérieur d’Israël, via un consensus international. Et c’est ce qui fait peur à Israël quand il voit le succès du BDS.

Dans un communiqué publié par l’organisation Une Voix juive pour la Paix, le rabbin Joseph Berman a noté : « Cette législation, qui encourage effectivement la construction de colonies de peuplement illégales tout en renforçant l’extrême droite en Israël, montre que BDS est un moyen de plus en plus puissant pour remettre en cause l’impunité d’Israël s’agissant des droits des Palestiniens. Nous exhortons le Congrès à rejeter cette législation. »

Ce qu’on retrouve ici, c’est une bataille pour la volonté politique des Démocrates, et les dirigeants démocrates au Congrès risquent de plus en plus de se trouver eux-mêmes en décalage avec les électeurs mécontents d’un soutien législatif à la colonisation de la Cisjordanie.

David Palumbo-Liu est professeur Louise Hewlett Nixon à l’université de Stanford.

Source: http://www.salon.com/2015/05/07/what_israel_fears_with_the_successes_of_the_boycott_divestment_and_sanctions_movement/

traduction : JPP pour BDS FRANCE