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05/05/14

La Palestine peut être reconquise dans un combat de rue

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Nous avons déplacé notre combat vers les rues du monde, afin de mieux révéler les dimensions morales de notre lutte, écrit Susan Abulhawa. Manifestation à Porto Alegre, Brésil en 2012.

La Palestine a toujours été un pays laissé pour compte, lentement balayé de la carte, une société démantelée jour après jour, systématiquement, par Israël. En tant que population avant tout désarmée et opprimée, les Palestiniens sont considérés comme impuissants, face à la suprématie d’Israël et e sa technologie militaire de mort, ils sont constamment évincés par la rouerie politique d’Israël et brimés sans cesse par un monde occidental qui a fait de notre sort misérable un véritable jeu de diplomatie et d’intrigues.

Nous avons tant perdu, dans ce pillage sans limite perpétré par Israël. Et chaque jour, nous perdons toujours plus. Maisons, patrimoine, existence, dignité, sécurité, espoir, culture, tradition orale, vergers, olives, histoire et objets d’art, gagne-pain, innocence, langue, identité. Ils ont déterré nos âmes, rebaptisé nos villages, déversé du béton sur nos anciens cimetières, transformé en bordels nos églises et mosquées, ils se sont approprié notre hummus, notre falafel et notre maqlooba en les présentant comme les aliments traditionnels des étrangers juifs qui débarquent quotidiennement pour prendre notre place.

Mais nous sommes toujours ici – nous luttons, rêvons, écrivons, dansons, peignons, aimons, procréons – parce que, comme l’a dit un jour Mahmoud Darwish : L’espoir n’est pas un sujet de conversation. Ce n’est pas une théorie. C’est un talent.

Et, aujourd’hui, près de 70 ans après que notre ruine a commencé, nous débarquons finalement dans la rue, un endroit où nous sommes infiniment plus puissants qu’Israël. La rue mondiale est un endroit où Israël n’a pas de véritables possibilités de défense, contre nous. Ici, Israël est virtuellement impuissant et il a fait tout ce qu’il pouvait pour nous tenir écartés de cette rue mondiale. La principale stratégie de conquête d’Israël a toujours été de maintenir la résistance palestinienne à portée de son pouvoir, qui existe principalement dans deux domaines.

Le pouvoir physique

Le premier est le pouvoir physique. Israël figure parmi les exportateurs les plus innovateurs sur le plan de la technologie de mort – hardware, software sophistiqués, services de terreur qu’il met au point et teste sur les corps et les esprits des Palestiniens. Nous ne pouvons les battre dans des combats militaires ou de guérilla, parce que ne disposition d’aucun pouvoir physique contre une telle brutalité. Nous avons essayé et nous avons échoué, sur ce front.

Le second domaine du pouvoir d’Israël existe parmi l’élite puissante, cette couche d’humanité qui n’est motivée et convaincue que par le seul pouvoir, par l’argent et par les expédients politiques, comme certains chefs d’État, magnats des médias, patrons de sociétés et d’autres qui s’engraissent grâce aux colonialisme et au capitalisme rapace. C’est là où nous en sommes depuis Oslo, nous errons dans les corridors du pouvoir, nous frappons à de puissantes portes, nous mendions la justice et, en retour, on nous subventionne, on nous blâme, on nous rabaisse, on nous manipule.

Jusqu’à présent, la lutte palestinienne a surtout été menée dans ces deux domaines, où nous serons toujours surclassés par la malfaisance d’Israël et sa politique de pillage colonialiste. Une seule fois dans le passé, nous sommes parvenus à soustraire la lutte palestinienne au contrôle d’Israël. Ce fut lors de la première Intifada. Bien que nos courageux jeunes, armés de pierres, n’aient posé aucune menace physique envers la force militaire d’une puissance nucléaire, ils sont parvenus à inverser les tendances et à opérer un glissement de pouvoir, parce que, pour la première fois, notre lutte débarquait dans la rue mondiale.

Pour la première fois, des gens ordinaires du monde entier pouvaient constater le mensonge affirmant qu’Israël menait une guerre existentielle contre un dangereux ennemi. Les images et les récits à propos de la police israélienne rompant les os d’enfants qui lançaient des pierres ont fait leur chemin dans les livings des masses et, là, des discussions sur la moralité ont fait leur entrée dans les conversations sur la Palestine. C’était ça, « la rue », l’endroit mondial de la participation publique où retentissent des mots comme liberté, justice, libération. Pour la première fois, des médias du monde entier remettaient en question et critiquaient Israël. Les souffrances des Palestiniens étaient enfin reconnues en tant que combat d’un peuple autochtone pour sa survie, contre l’expansionnisme et la suprématie ethnique et religieuse des sionistes.

Donc, la première Intifada a éloigné la lutte palestinienne des sphères israéliennes du pouvoir et l’a fermement installée dans le domaine de la moralité et de la légitimité populaire. La décision d’Israël, dès lors, de « négocier » avec l’OLP n’était rien d’autre qu’une astuce visant à repositionner la résistance palestinienne à portée du contrôle d’Israël. Jusqu’alors, Israël avait refusé de reconnaître l’OLP et avait mis tout en œuvre pour la détruire. Mais c’est alors que nous avons déplacé notre combat vers les rues du monde, révélant ainsi les dimensions morales de notre lutte.

La seule option viable pour Israël fut alors de créer un nouveau théâtre diplomatique (les accords d’Oslo) dans lequel il pouvait une fois de plus nous éloigner des regards et de la rue, parce qu’Israël ne peut en aucun cas évoquer la légitime défense contre le cri de liberté d’un peuple autochtone lorsque celui-ci porte au-delà des murs des prisons israéliennes et au-delà des amis d’Israël dans les milieux élitistes du pouvoir politique et économique.

Oslo et son insidieux « processus de paix » sont parvenus à obtenir un grand silence de longue durée, et de la part des Palestiniens et de la part du monde , ce qui a permis à Israël de poursuivre sans entrave sont programme originel d’épuration ethnique.

Le combat autour de la moralité

Mais, aujourd’hui, nous en sommes arrivés à un autre moment important d’un combat de rue populaire s’appuyant sur la moralité, la légitimité et la justice. La campagne de Boycott, de Désinvestissement et de Sanctions (BDS) a déplacé la dynamique du pouvoir et a ramené une fois de plus la bataille pour la Palestine dans le domaine de la conscience mondiale et de la participation publique à la lutte de libération d’un peuple autochtone.

La réponse d’Israël comprenait deux volets. Israël recourt à une tactique qui a fait ses preuves : celle des négociations en vue d’« accords intérimaires ». D’après un article de Haaretz, outre le fait de « faire avancer le processus de paix avec les Palestiniens [pour] éliminer une partie importante des menaces de boycott », d’autres tactiques comprennent « une campagne massive de Public Relations contre les organisations favorables au boycott », l’organisation de « procès devant des tribunaux européens et nord-américains contre les organisations partisans du mouvement BDS », le lobbying en vue de la création de nouvelles lois permettant de poursuivre davantage de personnes qui boycottent Israël et, finalement, la mise sur pied d’une surveillance des supporters des BDS, surveillance qui pourrait impliquer des opérations dirigées à partir du Mossad et du Shin Bet.

Toutes ces tactiques visent à réduire au silence le débat, à intimider les gens conscients et à affaiblir les appels unis à la justice. Fait remarquable, aucune des tactiques suggérées ne tente de formuler un contre-argument moral de poids contre les BDS.

Et la raison en est simple. La pauvreté spirituelle d’un État colonial obsédé par la création et le maintien d’un profil démographique particulier est en contradiction avec les notions populaires de moralité. L’affirmation de la sécurité militaire d’un État en vue de justifier la destruction en cours d’une population autochtone n’est nullement convaincante, dans cette époque de l’information, où les gens peuvent voir à quoi ressemble la démolition de la maison d’une famille dont le seul délit est de ne pas être juive, et où ils savent que cela se passe presque chaque jour ; où ils voient ce que c’est que d’arrêter des enfants aux corps frêles et avec des taches d’urine fraîche dans leur culotte : où ils savent qu’il y en a des centaines d’autres qui croupissent dans les prisons israéliennes, qui subissent la torture, sans la moindre accusation ou procès et sans possibilité de voir leurs parents ; où ils voient des vidéos de terrifiantes razzias de nuit qui font irruption dans les maisons des gens, qui tirent les enfants et les personnes âgées de leur lit, puis les renvoient à leur sort peu enviable tout en sachant que c’est une simple routine ; où ils lisent l’un après l’autre des tas d’articles émanant des organisations des droits de l’homme et décrivant les détails horribles de la cruauté et de l’humiliation au quotidien ; où ils savent que tout cela n’est autre que la politique de l’État israélien telle qu’elle est appliquée depuis des décennies.

Voilà pourquoi Israël ne peut gagner cette bataille, tant que nous maintiendrons notre lutte dans ce domaine de la moralité. Richard Falk a dit qu’il s’agissait d’une « guerre de la légitimité ». C’est aussi un combat de rue, mais de la rue mondiale, parce que la justice, la légitimité et la libération n’émergent pas de négociations, d’une occupation militaire, de l’oppression, de grosses sociétés ou de tribunaux coloniaux. La liberté est presque toujours sortie du théâtre et des affres du combat de rue.

Pour nous, les Palestiniens, qui avons été éparpillés et exilés dans le monde entier, les BDS nous fournissent une façon de nous unifier et d’utiliser la tragédie de la déportation pour multiplier les occasions qui s’offrent à nous. C’est une occasion d’accueillir et de retourner la solidarité des gens de conscience. Voilà un domaine où nous pouvons célébrer nos racines originelles et exercer nos aptitudes à l’espoir.

Cette rue mondiale est l’endroit où un peuple autochtone opprimé et sans défense a une chance d’obtenir justice. Il n’y a rien à gagner pour nous dans des négociations avec les puissants de l’élite

Publié sur Aljazeera.com le 2 mai 2014. Traduction : JM Flémal.

Source  http://www.pourlapalestine.be/index.php?option=com_content&view=article&id=1767:la-palestine-peut-etre-reconquise-dans-un-combat-de-rue&catid=76:partout-il-y-a-des-gens-qui-agissent

altSusan Abulhawa est une femme de lettres et activiste palestinienne, auteur du roman et best-seller international, Les matins de Jénine (Buchet/Chastel 2008). Elle est aussi fondatrice de Playgrounds for Palestine (Terrains de jeu pour la Palestine), une ONG au profit des enfants.