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09/01/15

Le boycott tranquille : quand l’art israélien s’étiole

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Pour la plupart des Israéliens, le boycott culturel du pays se fait essentiellement ressentir quand un chanteur célèbre ou une star de cinéma décident de ne pas venir ici pour se produire ou assister à un festival de film. Mais le boycott, instauré officiellement depuis 2005 dans le cadre d’une campagne plus large de boycotts, désinvestissements et sanctions, se ressent aussi dans le domaine de l’art, et les artistes et institutions d’art israéliens s’en trouvent fortement affectés. Il s’exerce autant ouvertement que secrètement, officiellement qu’officieusement, et par une variété de groupes à l’intérieur du monde de l’art.

Le boycott comprend le refus d’artistes arabes et palestiniens de participer à des expositions à l’étranger où sont présentées des œuvres d’artistes israéliens, et le refus d’artistes étrangers de montrer leur travail en Israël. L’objectif du boycott est de sensibiliser l’opinion sur l’occupation israélienne et les violations israéliennes des droits de l’homme.

Jeudi, une conférence, organisée par sept conservateurs travaillant en Israël, va se tenir à la Maison Leyvik, à Tel Aviv, appelée Dalut Hacherem : « Le boycott culturel d’Israël et ce qu’il signifie pour l’art contemporain israélien ». Les organisateurs – Chen Tamir, Leah Abir, Hila Cohen-Schneiderman, Joshua Simon, Omer Krieger, Udi Edelman et Avi Lubin – débattront des manifestations du boycott culturel dans sa relation avec la scène de l’art contemporain d’Israël.

Dans un rapport résumant son étude d’un an sur la question, Tamir note que la Campagne palestinienne pour le boycott universitaire et culturel d’Israël, principale organisation derrière cette action, se concentre principalement sur les artistes, conservateurs et institutions de l’étranger qui traitent avec le ministère israélien des Affaires étrangères et d’autres organismes officiels, et beaucoup moins sur ce qu’il se passe à l’intérieur d’Israël. PACBI, tel est le nom de cette organisation, « reconnaît que les artistes israéliens, juifs autant qu’arabes, sont admissibles aux fonds du ministère de la Culture et des Sports, de la même manière qu’ils le sont à profiter de l’eau s’ils en paient les taxes, » dit Tamir, ajoutant, « Ils ne veulent pas faire la promotion d’Israël. C’est pourquoi le boycott est dirigé vers l’extérieur, et il tente de recruter des acteurs de l’extérieur pour faire pression sur Israël ».

Tamir, qui est née en Israël et a grandi au Canada, est titulaire d’une maîtrise en Études pour la conservation, du Centre des Études pour la conservation au Bard College ; d’un diplôme universitaire des Beaux-Arts ; et d’un autre d’anthropologie de l’université de York, à Toronto. Elle est retournée en Israël il y a deux ans et demi et elle est la conservatrice du Centre de l’Art contemporain à Tel Aviv. Elle travaille aussi avec Artis, une organisation à but non lucratif basée à New York, qui soutient et promeut les artistes d’Israël au niveau international. Elle affirme que lorsqu’elle rencontre des gens dans son domaine à l’étranger, la question du boycott culturel contre Israël revient toujours.

Au départ, le rapport de Tamir était un document interne pour Artis, et ce n’est que plus tard que la décision fut prise d’organiser une conférence autour de lui.

« Beaucoup dans ce domaine m’ont interrogée à ce sujet, j’ai alors réalisé que les gens avaient besoin d’en savoir plus. C’est aussi l’objectif de la conférence, étant donné que c’est quelque chose qui affecte considérablement le monde de l’art mais qui n’a pas beaucoup de visibilité, » dit Tamir.

Le manque de visibilité découle en partie du fait que les artistes qui font le choix de ne pas coopérer avec Israël ne le reconnaissent pas toujours ouvertement. Parfois, ils évitent simplement de répondre aux courriels ou avancent d’autres raisons pour ne pas montrer leur œuvre en Israël. Du fait qu’il n’y aucune protestation active dans de tels cas, dit Tamir, « il est très difficile de concrétiser parce c’est justement l’absence de quelque chose ». Pour la même raison, il est difficile de déterminer combien d’artistes israéliens n’ont pas été invités à des événements à l’étranger du fait du boycott.

Mais pour certains événements culturels à l’étranger, l’impact du boycott est tangible. Cela a été le cas pour la Biennale de Sao Paulo en 2014. « C’était juste après la guerre (de Gaza) en été, les relations entre Israël et le Brésil étaient tendues, » explique Tamir. « La Biennale est l’un des plus importants événements de l’art au monde, et l’an (dernier), elle était organisée par un groupe comprenant deux conservateurs israéliens, Galit Eilat et Oren Sagiv. La Biennale a demandé le soutien de l’ambassade israélienne au Brésil, ainsi que de toutes les autres ambassades, et Israël a versé de l’argent. Quelques jours avant l’ouverture, des objections ont surgi. Un compromis a été trouvé par lequel l’argent du ministère des Affaires étrangères israélien ne devait être utilisé que par les artistes israéliens participant à la Biennale. De cette manière, les artistes étrangers de façon visible ne bénéficieraient pas de l’argent venu d’Israël, » dit Tamir.

Un autre exemple du boycott culturel en pleine Opération Bordure protectrice est l’annulation de la participation de Belu-Simion Fainaru à la Biennale internationale de Canakkale, en Turquie… Dans une lettre au sculpteur israélien, le directeur artistique de la Biennale, Beral Madra, a expliqué qu’étant donné la situation politico-culturelle et sociale en Turquie, la présence de Fainaru ou l’exposition de son œuvre à l’événement seraient inopportunes. Il notait également que même si le message à travers son œuvre est favorable à la paix, il a trait au Mur occidental de Jérusalem, et les organisateurs de cette Biennale étaient déterminés à éviter l’inclusion de toute œuvre contenant un symbolisme national ou religieux.

Noam Segal, qui fut dans les dernières années l’organisateur d’un certain nombre d’expositions comprenant des artistes de l’étranger, dit que le refus de se produire en Israël peut prendre de multiples formes. « J’ai voulu invité Laure Provost, la lauréate du Prix Turner 2013, pour participer à une exposition sur laquelle je travaillais, mais elle est signataire du boycott et elle ne viendra pas. La même chose vaut pour Mark Leckey, qui l’a dit d’une manière différente. D’autres artistes qui n’ont pas officiellement signé le boycott n’ont pas répondu à l’invitation et il est clair qu’ils ne veulent pas venir. En septembre, une exposition que j’avais organisée s’est ouverte à Los Angeles et la plupart des artistes étaient israéliens. Il y a eu quelques journalistes à m’écrire pour me dire qu’ils étaient impressionnés par l’exposition, mais qu’en raison de la situation actuelle, ils préféraient ne pas rédiger des articles sur des expositions identifiées comme israéliennes. »

L’un des buts de la conférence de jeudi est de sensibiliser le public sur l’existence du boycott. « C’est un sujet très sensible qui booste les gens, pour le meilleur et pour le pire, » dit Tamir. « Dans notre groupe, certains soutiennent le boycott et d’autres s’y opposent, et il y a ceux qui sont conscients de la contradiction, étant donné qu’il est difficile de vous boycotter vous-même. Nous nous demandons comment il est possible de travailler dans le domaine de l’art, qui se veut international, et dans le même temps, faire face à un boycott venant de l’extérieur. »

Tamir établit un lien entre le boycott et les menaces à la liberté d’expression en Israël. « Israël est déjà une sorte d’île. Par ailleurs, en Israël, il y a davantage d’hostilité envers la liberté d’expression. Ce que la guerre de cet été nous a montré nous fait très peur. Un boycott est une forme de liberté d’expression. Que l’on soit d’accord ou pas avec, les gens ont le droit de le mettre en pratique et d’appeler pour lui. Pour débattre de la question de savoir s’il est justifié ou non, c’est une autre question, mais même si les gens ont des points de vu controversés, ils ont le droit de les exprimer.

« C’est très difficile pour certains qui soutiennent à la fois la liberté d’expression et la liberté d’action. Il y a contradiction. C’est le principal problème du boycott. Si nous restons complètement isolés ici, avec seulement nos propres voix et aucun artiste international acceptant de se produire ici, qu’est-ce que cela veut nous dire ? »

L’une des oratrices à la conférence, Hila Cohen-Schneiderman, conservatrice au Musée de l’art Petah Tikva, qui travaille aussi de façon indépendante, projette de présenter un objectif qu’elle qualifie d’« utopique ». Elle met en avant qu’Israël est déjà déconnecté du monde arabe, préférant « penser que nous appartenons à l’Europe ou aux États-Unis ». Le boycott arabe ne fait que renforcer cette tendance. À la place, elle propose que « si les artistes arabes exposaient ici et nous faisaient voir l’endroit auquel nous appartenons, ce serait beaucoup plus efficace ». Dans cet esprit, elle voulait inclure dans une exposition à venir une œuvre de Rabia Mroue, artiste libanais, sur la guerre civile en Syrie.

« Je lui ai demandé la permission de montrer son œuvre et jamais il ne m’a répondu. À la fin, j’ai fini par comprendre que d’une manière détournée, la réponse était négative. Je considère l’oeuvre comme primordiale pour que le public israélien voie ce qu’il se passe en Syrie. Si un artiste comme James Turrel boycottait Israël mais qu’un artiste comme Rabia Mroue exposait son œuvre ici, nous en tirerions beaucoup plus d’avantages ».

Udi Edelman, conservateur au Centre israélien pour l’art numérique, qui travaille aussi à titre indépendant, et qui est l’un des organisateurs de la conférence, dit que selon lui, il est difficile de soutenir totalement ou de rejeter totalement l’idée du boycott.

« Le suivre totalement, c’est décider que nous n’inviterons plus d’artistes internationaux, mais c’est une réflexion très difficile, et ce n’est pas nécessairement la bonne décision. D’un autre côté, il serait intéressant d’avoir des artistes internationaux qui considèrent ces questions plus en profondeur. S’ils boycottent, ils doivent le faire de manière ouverte ou aller plus avant dans les questions de notre existence ici. »

 

Ha’aretz : http://www.haaretz.com/life/arts-leisure/.premium-1.635914

Traduction : JPP pour BDS FRANCE