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05/06/13

Les Palestiniens : un peuple que l’occupant aimerait tant pouvoir oublier

Lors des dernières élections israéliennes, aucun parti sioniste n’a voulu parler de la Palestine, comme si les lieux communs habituels (« Nous n’avons pas de partenaire pour la paix », « Les Palestiniens veulent continuer la Shoah et jeter les Juifs à la mer » …) faisaient consensus.

Les sionistes ont eux-mêmes détruit leur projet historique : un Etat juif « ethniquement pur » ou en tout cas largement hégémonique. Il y a aujourd’hui 50% de Palestiniens entre Méditerranée et Jourdain. Le projet historique du sionisme (le « transfert », c’est-à-dire l’expulsion des Palestiniens au-delà du Jourdain), ne semble plus possible, sauf guerre généralisée. Alors comment maintenir la domination ? Fragmenter la Palestine, la transformer en bantoustans éclatés. L’apartheid s’officialise. Comme une telle situation est difficile à terme à gérer, il est vital pour l’occupant d’internationaliser la guerre.

Les révolutions arabes : un processus inachevé

Quand Moubarak est tombé, les dirigeants israéliens ont eu peur. C’est l’époque où l’ancien ambassadeur israélien au Caire Zvi Mazel déclarait : « les révolutions arabes, une catastrophe pour les Juifs ! ». Jusque-là, vis-à-vis du monde arabe, les dirigeants israéliens étaient les meilleurs élèves de l’impérialisme américain dans le cadre du « choc des civilisations » et de la « guerre du bien contre le mal », le mal étant bien sûr les Arabes et plus généralement les musulmans.

En même temps, depuis l’arrivée des premiers colons sionistes, il y a toujours eu des accords avec des dirigeants arabes « compréhensifs » : dès le début du XXe siècle, des féodaux absents ont vendu leurs terres aux sionistes, provoquant l’expulsion des métayers palestiniens. Dans les années 30, les souverains hachémites (la future Jordanie) ont signé avec les dirigeants sionistes un plan de partage de la Palestine. En 1948, les armées des Etats arabes se sont battues pour leur propres intérêts et jamais pour les Palestiniens. D’ailleurs la Jordanie a annexé Jérusalem et la Cisjordanie tandis que l’Egypte annexait Gaza. Ils n’ont pas songé à la création d’un Etat palestinien. En 1970, le roi Hussein de Jordanie a écrasé les Palestiniens (septembre noir, 30000 morts) avec une aide militaire israélienne décisive. Pendant la guerre du Liban, les Israéliens se sont alliés aux Phalangistes pour écraser l’OLP (Sabra et Chatila). La Syrie de Assad, l’Irak de Saddam et la Lybie de Kadhafi ont voulu « domestiquer » l’OLP et leurs tueurs se sont spécialisés dans la liquidation de ses militants. L’Egypte de Sadate a signé une paix séparée avec Israël pour mieux abandonner les Palestiniens.

Moubarak était devenu le prototype du collabo, poussant l’Autorité Palestinienne à capituler et faisant construire des herses pour couper les tunnels à Gaza. Sa chute a été une rude perte pour le sionisme.

Tout d’un coup, les Arabes décrits quotidiennement comme des « terroristes » et des « intégristes » fanatiques sont descendus dans la rue pour revendiquer la justice sociale, la fin de la dictature et de la corruption ou la dignité.

Seulement voilà, les révolutions arabes sont inachevées. Les capitalistes, les affairistes et la nomenclature militaire se sont reconvertis sans problème dans le soutien à des partis islamistes et bourgeois (frères musulmans en Egypte, Ennahda en Tunisie …). Le seul modèle épargné par les révolutions (à l’exception de Bahreïn), ce sont les régimes féodaux, esclavagistes, patriarcaux, ultracapitalistes et pourris de fric des monarchies du Golfe. Avec ceux-là, les dirigeants israéliens ne se sentent pas menacés. Israël et les monarchies du Golfe sont les deux pièces maîtresses qui permettent à l’impérialisme américain de tenir le Proche-Orient.

En Egypte, le nouveau pouvoir a un peu desserré le blocus de Gaza, mais à peine. Ce territoire reste toujours une « entité hostile » où la « communauté internationale » a sanctionné collectivement tout un peuple coupable d’avoir « mal » voté. Jamais il n’a été question de revenir sur les accords de paix Begin-Sadate de 1979. Même quand cinq policiers égyptiens ont été tués par l’armée israélienne (août 2011) et qu’en riposte, l’ambassade israélienne au Caire a été attaquée par des manifestants, les relations diplomatiques ont été maintenues, même pas gelées.

La Jordanie qui a aussi « normalisé » ses relations avec Israël après les accords d’Oslo, a un traité commercial toujours très actif avec son voisin. Certes le régime a été ébranlé par des manifestations, des grèves et des émeutes dans un pays où la moitié de la population est palestinienne mais sa politique de collaboration reste inchangée.

Syrie, Iran ou comment internationaliser la guerre.

Le régime syrien n’a tiré aucun coup de feu contre Israël depuis 1973. Pendant la guerre civile du Liban, les régimes israéliens et syriens  ont partagé le pays en zones d’influence. Le symbole de cette alliance implicite, c’est en 1983 l’encerclement d’Arafat dans le Nord du Liban entre l’armée syrienne et les vedettes israéliennes. En Syrie, les camps palestiniens ont été confiés à des organisations totalement inféodées au régime : la Saïka et le FPLP-commandement général d’Ahmed Jibril.

Dès le début de la guerre civile en Syrie, la grande majorité des Palestiniens de Syrie s’est rangée dans le camp de la révolution. Le dirigeant du Hamas Khaled Mechaal a rompu avec le régime et a quitté Damas. Le camp de Yarmouk (plus de 100000 habitants dans la banlieue de Damas) s’est révolté et a été plusieurs fois bombardé ou occupé par les troupes du régime.

Pour Israël, la guerre civile en Syrie est une bénédiction. Comme ils l’ont déjà fait pour l’Irak ou la Libye, les dirigeants israéliens poussent à une intervention militaire occidentale en Syrie. La propagande sioniste déverse régulièrement la même propagande : « pourquoi parle-t-on sans arrêt des Palestiniens alors qu’on laisse des dizaines de milliers de Syriens se faire massacrer sans intervenir ? » Cette « solidarité » avec le peuple syrien est tout à fait bidon. L’intérêt israélien, c’est que cette guerre se poursuive sans vainqueur, cela permet en plus d’oublier la Palestine. Parmi les révolutionnaires syriens, il y a des dirigeants de gauche qui ont toujours manifesté un soutien sans faille à la cause palestinienne. C’est contre eux qu’Hafez al-Assad (le père de Bachar) avait réussi son coup d’Etat en 1970.

Sur la question iranienne, l’attitude israélienne est un peu la même. Le régime d’Ahmadinadjad est une théocratie brutale et meurtrière, haïe dans la région à cause des antagonismes sunnites/chiites et perses/arabes. Sur la question nucléaire, on est en plein délire. D’un côté l’Iran aurait, peut-être mais ce n’est pas sûr, les moyens, un jour, d’avoir la bombe atomique. Or il a signé le traité de non-prolifération. C’est un « menteur » et il est donc licite de déclencher la pire guerre contre lui. En face, Israël possède, de façon notoire 200 têtes nucléaires. Le pays s’est même permis d’emprisonner pendant 20 ans Mordechaï Vanunu qui avait donné des précisions sur le nucléaire israélien. Mais le pays n’a pas signé le traité de non-prolifération et il appartient à « l’axe du bien ». Du coup, la « communauté internationale » est bien silencieuse sur les menaces répétées « d’attaque préventive » israélienne contre les centrales iraniennes, attaque qui mettrait à feu et à sang la région. Chaque fois qu’on vote en Israël, les politiciens font campagne sur une attaque contre l’Iran. Le seul débat qui existe dans la classe politique israélienne se situe entre ceux qui sont prêts à attaquer quoi qu’il arrive et ceux qui ne veulent le faire qu’avec l’appui américain. Jusque-là Obama était réticent. Il semble qu’il se rallie à ce projet d’attaque et même qu’il cherche à convaincre la Jordanie et l’Arabie Saoudite d’ouvrir leur espace aérien. Conséquence supplémentaire d’une telle attaque si elle avait lieu : la mise en danger des Juifs iraniens. Ils ne sont plus que 30000. Ils voyagent (y compris en Israël) et ont un député censé les représenter au Majlis (le Parlement iranien). Mais les sionistes n’ont jamais hésité à mettre en danger les Juifs pour les pousser à l’émigration vers Israël.

Fatah et Hamas dans l’impasse

La Palestine n’a pas d’Etat, mais elle a deux gouvernements rivaux. Fatah comme Hamas tirent leur légitimité de la résistance à l’occupant mais l’un comme l’autre ont été piégés par l’occupant en exerçant une forme de pouvoir qui n’a plus rien à voir avec le rêve d’un Etat palestinien.

Pendant des années, l’Autorité Palestinienne a accepté tous les diktats (Camp David, Taba, Annapolis, la feuille de route, le quartet …) qui étaient de sinistres plaisanteries où l’Etat d’Israël avec son compère américain exigeait une capitulation palestinienne sur les revendications essentielles. En même temps, l’Autorité Palestinienne a accepté de jouer le seul rôle que lui ont dévolu les accords d’Oslo : celui d’assurer la sécurité de l’occupant. Depuis des années, l’Autorité Palestinienne déploie toute son énergie à combattre le Hamas au point d’avoir été étrangement silencieuse pendant le massacre de Plomb Durci à Gaza (2008-2009). Certains n’hésitent pas à la considérer comme une instance purement « collabo ». C’est sans doute exagéré mais sa raison d’être n’a rien d’évident d’autant qu’elle n’a même pas tout le pouvoir sur un territoire réduit à des bantoustans éclatés non-viables.

L’essentiel de l’économie palestinienne a été détruit par l’occupation. L’Autorité Palestinienne redistribue une manne financière importante venue de l’étranger à des dizaines de milliers de fonctionnaires et à leurs familles. Dans ce cadre-là, la corruption et le clientélisme sont inévitables. Depuis des années, sans aucune légitimité électorale, Salam Fayyad est le Premier ministre palestinien. Cet homme du FMI s’est acharné à donner la « bonne » gouvernance voulue par l’Occident : transformer Ramallah en une « bulle » couverte de grands hôtels et montrer qu’on peut faire des affaires sous occupation, sans Etat palestinien ni souveraineté. Ce fantasme de faire des affaires juteuses au Proche-Orient sans jamais chercher à résoudre ce qui est à l’œuvre (occupation, colonisation, apartheid) avait déjà surgi au moment des accords d’Oslo. Fayyad (haï par le Hamas) était considéré comme l’obstacle à une réunification palestinienne. Il a démissionné mais, alors que cette question est fortement voulue par la population, la réunification de la Palestine n’est toujours pas à l’ordre du jour.

Il existe d’authentiques résistants à l’intérieur du Fatah comme le prisonnier Marwan Barghouti. Il existe des groupes de lutte armée proches du Fatah. Mais c’est une bourgeoisie pro-occidentale et sans perspective qui continue de diriger le parti.

À Gaza, la situation n’est pas si différente. La population qui souffre énormément à cause du blocus et des incursions israéliennes meurtrières, a pu survivre grâce aux tunnels. Ces tunnels et la mainmise sur les seules formes de commerce qui ont pu survivre, ont enrichi de façon insolente quelques dizaines de familles proches du pouvoir. Le Hamas a pu briser l’isolement. Lors de la dernière grande attaque israélienne (novembre 2012), le ministre des affaires étrangères tunisien et le Premier ministre égyptien sont venus à Gaza. Les relations avec le Qatar sont bonnes et l’argent arrive. Le Hamas au pouvoir n’hésite pas à réprimer les autres partis (arrestations, manifestations interdites). Son côté « résistant » s’estompe au profit de son côté « islamiste ». Ainsi le marathon de Gaza été interdit, il y avait trop de femmes inscrites. Le régime a comme perspective principale sa propre survie … alors que le statu quo est insupportable.

L’admission de la Palestine comme « Etat non membre » à l’ONU aura juste montré qu’Israël ne peut plus « faire disparaître » la Palestine ou qu’une majorité de pays supporte mal cet Etat voyou. L’idée d’une solution diplomatique « à froid » et sans lutte n’est pas réaliste. Sur le terrain, rien n’a changé et les deux grands partis palestiniens n’ont pas de  perspective.

La résistance et le BDS

On aurait tort de limiter la société palestinienne au Fatah ou au Hamas. Il y a de très nombreuses associations dans tout le pays : des associations de producteurs (oliviers, céramique, artisanat …), des associations défendant les droits de l’homme, défendant les pauvres, assurant des formes de redistribution. Des associations gérant les camps de réfugiés, des associations de femmes (notamment contre les violences), des syndicats dont la plupart sont indépendants de l’Autorité Palestinienne, des comités populaires sur tout le tracé du mur de l’apartheid luttant contre les confiscations des terres, les arrachages d’oliviers et les destructions de maisons, des associations d’aide juridique, des associations défendant les prisonniers en lutte contre l’isolement, la torture ou la détention administrative.

Cette résistance est non-violente ou plutôt non armée. Elle est animée par les comités populaires. En fait, les Palestiniens ont tout essayé : la lutte armée, la diplomatie, la négociation. Cette résistance se concentre dans toutes les zones attaquées par le mur et les colonies. Elle subit une violence extrême de la part de l’occupant. En quelques années, les manifestant-e-s pacifiques ont eu plus de 40 mort-e-s.

En 2005, 172 associations de la société palestinienne, constatant l’impunité des dirigeants israéliens et la complicité des occidentaux avec le rouleau compresseur de la colonisation sioniste, ont lancé un appel mondial au BDS (boycott, désinvestissement, sanctions) contre l’Etat d’Israël sur trois revendications : l’égalité des droits, la fin de l’occupation et de la colonisation, le droit au retour des réfugiés palestiniens. Cet appel est une réponse à la fragmentation de la société palestinienne qui est à l’œuvre et à la division de la Palestine (Cisjordanie, Jérusalem, Gaza, Palestiniens d’Israël, réfugiés …) en des entités qui subissent toutes des formes différentes d’oppression.

Le jugement du tribunal Russell considérant que l’Etat d’Israël est un Etat d’apartheid qui pratique un sociocide vis-à-vis des Palestiniens a donné une base juridique à cet appel.

Le BDS est multiforme. Il y a bien sûr un BDS économique qui s’en prend à toutes les firmes israéliennes. Sont particulièrement visées la compagnie Agrexco (qui exportait les fruits et légumes vers l’Europe) qui a fait faillite et son successeur Mehadrin qui commercialise les pamplemousses Jaffa, les avocats Carmel … D’autres produits israéliens de consommation courante se retrouvent dans nos magasins : Sodastream, les médicaments Teva …

Il y a le BDS académique. Toutes les universités israéliennes participent activement à la colonisation et à l’industrie de l’armement. Dans cette économie de start-up, les universités font partie du complexe militaro-industriel. Il est significatif que le mouvement israélien « boycott de l’intérieur » regroupe des universitaires anticolonialistes. Même s’il est difficile d’obtenir en France une rupture des relations avec les universités israéliennes, il faut mener cette bataille. Dans les pays anglo-saxons, de nombreuses assemblées d’étudiant-e-s ont voté pour une telle rupture. Très récemment, l’astrophysicien Hawking a renoncé à une conférence en Israël.

Il y a le BDS culturel. Il s’agit d’inciter de nombreux artistes internationaux à renoncer à aller se produire en Israël et certains l’ont fait. On ne boycotte pas individuellement des cinéastes, écrivains ou chanteurs israéliens. On les boycotte dès que leur venue est parrainée par l’ambassade ou le consulat d’Israël.

Il y a le BDS sportif. Des manifestations ont lieu chaque fois qu’une équipe israélienne vient en Europe. Les Israéliens ont pulvérisé les installations sportives palestiniennes. Ils ont détenu et torturé sans jugement le footballeur Mahmoud Sarsak. Dans ces conditions, de nombreuses manifestations ont lieu contre l’Euro de football des moins de 21 ans en Israël. Rappelons-nous que l’expulsion de l’Afrique du Sud des jeux olympiques avait été décisive dans la décision de rompre avec l’apartheid.

Il y a le boycott syndical. Le syndicat israélien Histadrout est raciste. Il défend dans ses statuts le « travail juif » et ne syndique pas les Palestiniens ou les nombreux travailleurs immigrés (Asie du sud-est, Afrique de l’Est …) qui travaillent en Israël. Il a escroqué des centaines de milliers de travailleurs palestiniens qui ont dû cotiser chez lui et n’ont jamais reçu ni protection sociale, ni retraite. Son expulsion des instances syndicales internationales est une nécessité.

Le BDS a remporté de nombreux succès : la faillite d’Agrexco, les lourdes pertes financières de Veolia qui a construit le tramway de Jérusalem, le gel des relations avec divers pays (Venezuela, Bolivie, Turquie …) avec Israël, les décisions de nombreux syndicats ou universités de rejoindre le boycott, les pétitions d’artistes, de scientifiques ou de sportifs.

Pour l’instant, bien sûr, l’économie israélienne qui est une économie de « start-up » est peu affectée. Mais l’image du pays est très atteinte. N’oublions pas que 15% des Juifs israéliens vivent hors d’Israël et qu’ils sont très sensibles à ce qui se dit. Ce pays qui est très mondialisé ne parvient plus à se présenter comme un pays « normal ». Des films et des livres décrivant l’apartheid quotidien sont de plus en plus diffusés. Israël est rattrapé par un changement de l’opinion mondiale et par le syndrome sud-africain. Il faudra sûrement du temps pour que cette évolution se traduise en un affaiblissement politique et économique. Mais les choses sont en route.

Quelle issue ?

Le sionisme depuis plus d’un siècle fonctionne par le fait accompli et la légalisation ultérieure du fait accompli. Une majorité de l’opinion israélienne espère toujours que les Palestiniens deviendront les indigènes du Proche-Orient, résignés et incapables de réclamer leurs droits.

C’est de façon délibérée que l’occupant a totalement détruit le compromis très inégalitaire qui avait abouti aux accords d’Oslo. Pour créer un Etat palestinien sur 22% de la Palestine historique (Cisjordanie, Jérusalem-Est et Gaza), il faudrait que les 600000 Israéliens établis dans ces territoires s’en aillent ou acceptent de devenir citoyens palestiniens. On ne voit pas le gouvernement israélien qui tenterait d’y parvenir.

Dans les faits, la « ligne verte » (la frontière d’avant 1967) a totalement disparu. Il faut une carte française pour réaliser que l’autoroute Tel-Aviv-Jérusalem traverse les territoires occupés ou que l’usine Ahava (la plus grande usine de cosmétiques au bord de la Mer Morte) est en Cisjordanie. Le mur qui balafre la Cisjordanie ampute la Palestine d’une large partie de ses terres. La division du territoire en zones ayant toutes des statuts différents (zones A, B et C, Jérusalem …) accentue la « bantoustanisation ». Les colonies ne pillent pas seulement la terre et l’eau. Elles encerclent les villes palestiniennes dans le cadre d’une « colonisation spatiale ». Avec les routes de contournement pour colons, les check-points, les blocs de colonies qui isolent les agglomérations palestiniennes, les « zones franches » où les capitaux sont israéliens et la force de travail palestinienne, il est clair qu’un Etat palestinien n’est pas viable. D’ailleurs, quelle serait sa capitale ? Une bonne partie du « grand Jérusalem » a été confisquée par les colons et les quartiers palestiniens sont attaqués et « judaïsés » à marche forcée.

Les Occidentaux qui soutiennent à bout de bras la colonisation sioniste parce que l’Etat d’Israël, tel qu’il est, correspond totalement à leur rêve, feignent de réaliser tout d’un coup que la solution « deux peuples, deux Etats » n’est plus viable. De temps en temps, des diplomates américains ou certains Israéliens prennent conscience du caractère suicidaire (pour Israël) d’une voie choisie qui tourne le dos à un Etat palestinien.

De fait, l’Etat juif voulu par Herzl n’est plus ethniquement pur. Le « transfert » des Palestiniens est irréalisable. Alors, l’apartheid s’institutionnalise. C’est en multipliant les discriminations à la possession de la terre, au logement, au travail, à l’espace, au droit de se déplacer … que le système perdure. On est arrivé de fait à une situation de lutte pour l’égalité des droits sur un espace unique où les deux populations, la dominante et la dominée, sont inextricablement mélangées.

Bien sûr, l’écrasante majorité des Israéliens est persuadée que, sans « Etat juif », ils seront jetés à la mer. Le sionisme, c’est une théorie coloniale de la séparation qui décrète qu’un Juif ne doit pas et ne peut pas vivre avec « l’autre ». Sauf que la séparation est devenue impossible.

Il a fallu des décennies aux Noirs du Sud des Etats-Unis ou d’Afrique du Sud pour démolir en partie le système et les lois d’apartheid.

Les Palestiniens n’en sont qu’au début de leur lutte anti-apartheid. Contre eux les Israéliens essaient tout : falsifier l’histoire, agiter l’antisémitisme, fragmenter la Palestine, rendre la vie impossible aux Palestiniens.

Israël est dirigé durablement par une coalition de style OAS/intégriste. La partie « européanisée » de la population s’inquiète et sent bien qu’une domination sans limite n’est pas possible mais elle semble incapable  d’infléchir la voie  choisie.

L’issue la plus probable et en tout cas la plus souhaitable à terme reste le démantèlement du sionisme et l’égalité des droits pour tous les habitants de la région. Il est cocasse de constater que les dirigeants israéliens eux-mêmes ont éliminé les autres solutions.

Pierre Stambul (12 mai 2013)