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13/10/11

Mme Haris Alexiou, nous, Palestiniens, nous excusons de ne pouvoir venir à votre concert

Donc, nous sommes navrés, nous tous, vos fans palestiniens, de ne pouvoir venir à votre concert au cœur même de la Palestine historique – oh, excusez-nous, d’Israël – mais nous sommes certains que «  votre amour nous trouvera partout où nous sommes ».

Chère Madame Haris Alexiou

(ou, si vous le voulez bien)

Notre Haroula

(JPG) Nous, tous les Palestiniens, nous nous sommes réjouis en apprenant que, malgré l’appel par une certaine société civile palestinienne autoproclamée et certains activistes israéliens à boycotter l’apartheid israélien afin qu’il mette fin à ses crimes et se conforme au droit international, vous n’alliez pas suivre l’exemple de tant d’autres artistes (tels Roger Waters, Natacha Atlas, Elvis Costello, et d’autres) et que vous viendriez chanter en Palestine historique – oh, pardon, excusez-nous, en Israël.

Nous savions que, à l’instar d’autres artistes grecs (Yiannis Kotsiras, Demis Roussos, George Dalaras, Glykeria, et d’autres), vous ne mélangez pas la politique avec l’art et que vous viendriez chanter pour la paix et pour tous les peuples de cette région, lesquels ont des racines culturelles communes de toute façon.

Malheureusement, notre joie de votre venue s’est trouvée quelque peu atténuée par le fait que nous ne serons pas en mesure d’assister à votre concert, comme nous l’aurions tant aimé.

Plus d’un million et demi d’entre nous, les habitants de la bande de Gaza, la plupart des enfants, et dans notre majorité, des réfugiés, depuis la « Nakba » (Nakba signifie Catastrophe, c’est le nettoyage ethnique de 1948), sommes sous blocus à l’intérieur de la Bande et non seulement nous n’avons pas l’autorisation de sortir et d’assister à votre concert, mais nous ne le pouvons même pas – sauf à de rares exceptions – pour aller à l’hôpital ou suivre des études.

Pour deux autres millions et demi environ d’entre nous, dont encore une fois de nombreux réfugiés, sommes bloqués (même entre nous) en Cisjordanie, et nous ne sommes plus autorisés à nous rendre dans la région où vous allez tenir votre concert, pas seulement pour aller le voir, mais aussi pour y aller travailler à la journée, comme nous le faisions dans le passé. Et même s’ils nous le permettaient, il nous faudrait passer tant de check-points, et aussi le Mur, qu’il ne serait absolument pas certain que nous puissions arriver à l’heure pour votre concert.

Pour plus de cinq millions d’entre nous encore, nous sommes dispersés à travers le monde entier, réfugiés depuis 1948 (« Cette eau de Cologne reste pendant des années »… (1)) et nous ne sommes pas autorisés à visiter nos villages détruits à cette époque (entre autres Qisarya, là où vous allez vous produire), nos maisons, nos parents – mais, avant tout, nous ne sommes pas autorisés à venir à votre concert. Nous pensions faire une tentative et organiser des manifestations pacifiques pour revenir dans la région où vous allez chanter, mais la dernière fois que nous avons tenté ce genre de chose, en mai et juin, il y en a certains – naturellement ils n’étaient pas parmi vos fans – qui nous ont accueillis avec des balles réelles et nous avons eu des dizaines de tués.

Nous avions pensé aussi pouvoir attraper au moins un avion, et venir juste pour votre concert. Mais la dernière fois que certains étrangers l’ont tenté, en juin dernier, ils se sont retrouvés dans les centres de détention de l’aéroport Ben Gourion. Même par bateau nous viendrions, mais quand certains d’entre nous, qui avaient acquis une nationalité étrangère, ont tenté avec beaucoup d’amis étrangers, en 2010, quelque chose de similaire, c’est-à-dire venir à Gaza par bateau, des Israéliens – bien sûr qu’ils n’étaient pas de vos fans – des Israéliens nous ont attaqués, ils ont tué huit voyageurs turcs et un Américain d’origine turque, ils en ont blessés des dizaines d’autres et, après nous avoir frappés et taserisés, ils nous ont entassés par centaines dans des prisons pour, finalement, nous expulser. Heureusement, en 2011, quand nous avons retenté la même folie, le Premier ministre de votre pays, la Grèce, Monsieur Papandreou (évidemment, il est bon de se rappeler l’amitié fraternelle de son regretté père avec le regretté Yasser Arafat) nous a protégés comme un père et, avec l’aide de policiers garde-côtes fortement armés, il nous a empêchés de subir le même sort, ou pire.

Pour environ 5500 d’entre nous, dont des centaines d’enfants, nous sommes enfermés dans les prisons israéliennes, et même dans des prisons-camps de concentration, dans le désert. Comme vous pourrez le comprendre, il n’est pas du tout certain que nous obtiendrons la permission de quitter la prison même pour cinq jours, comme cela arrive dans votre pays, ni même la permission de sortir ne serait-ce qu’une demi-journée pour venir à votre concert. Mais en tout cas nous allons essayer, et nous sommes déterminés à aller jusqu’à la grève de la faim pour revendiquer une permission de quelques heures et pouvoir aller regarder votre concert.

Pour des milliers d’entre nous, nous nous sommes retrouvés handicapés dans nos maisons (ou encore dans des hôpitaux) après avoir été blessés non seulement par les coups malfaisants de colons et de soldats – c’est sûr, ce n’était pas des fans à vous – mais aussi par des balles « caoutchouc », des balles réelles, des obus, des bombes, des missiles, du phosphore blanc, etc. Nous en rêvions vraiment de venir à votre concert, mais les médecins ne nous le permettent pas pour le moment.

Enfin, plus de 6500 d’entre nous, et pour un cinquième, des enfants dont le quart avait moins de 12 ans, nous avons été tués, au fil des onze dernières années, par les tirs israéliens et, comme vous le comprendrez bien, c’est un petit peu difficile pour nous d’aller assister à votre concert. Malgré cela, soyez sûre que nous vous écouterons, «  du bord du ciel » (2).

Donc, nous sommes navrés, nous tous, vos fans palestiniens, de ne pouvoir venir à votre concert au cœur même de la Palestine historique – oh, excusez-nous, d’Israël – mais nous sommes certains que « votre amour nous trouvera partout où nous sommes » (3).

« Par les prières » (4) de :

  • La population des « libres assiégés » (5) de la bande de Gaza sous blocus ;
  • La population « encastrée dans le mur » de la Cisjordanie occupée ;
  • La population déplacée de Jérusalem-Est occupée ;
  • Les réfugiés-exilés de la diaspora palestinienne ;
  • Les prisonniers palestiniens ;
  • La population palestinienne blessée et handicapée ;
  • Les martyrs palestiniens ;
  • Tous vos fans palestiniens.

Librement adapté par l’Association grecque de solidarité avec le peuple palestinien – Intifada

Post-scriptum : Nous savons combien vous, Mme Alexiou, êtes touchée aussi par la crise économique que votre pays, et plus encore, endure. Et combien vous avez besoin des gains de votre concert. Le fait que nous ne soyons pas en mesure de participer à votre concert ne signifie pas que nous ne voulons pas vous soutenir dans ces moments difficiles. S’il vous plaît, donnez-nous les références de votre compte bancaire et nous vous enverrons le prix de nos billets. Nous ne voulons rien en échange. Nous voulons juste contribuer ainsi à un futur concert, en Palestine historique – pardon, en Israël – où nous pourrons, du moins certains d’entre nous, participer. Nous vous en remercions à l’avance.

Notes :

1 – « Cette eau de Cologne reste durant des années » : une ancienne chanson de Haris Alexiou

2 – Référence à la chanson « Au bord de votre ciel », par Haris Alexiou

3 – Référence à la chanson « L’amour vous trouvera partout où vous êtes », par Haris Alexiou

4 – une autre chanson de Haris Alexiou

5 – « Les libres assiégés » : l’une des plus importantes œuvres du poète national grec Dionysios Solomos, sur le siège de Messolonghi par les forces de l’Empire ottoman, durant la révolution grecque pour l’indépendance.

Site de Haris Alexiou

9 octobre 2011 – Intifada.gr – traduction : JPP