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10/03/11

Réfléchissez, vous vous indignerez !

Suite à l’appel de la direction de l’Ecole normale supérieure (ENS), le Conseil d’Etat a annulé l’ordonnance du tribunal administratif (TA) qui la sommait de reconsidérer sa décision d’interdire un cycle de conférences organisé par le collectif Palestine ENS.

Après l’annulation de la conférence de Stéphane Hessel en janvier, une pétition signée par plus de 600 membres de la communauté normalienne (professeurs, élèves, anciens élèves, personnels…), et non par « une simple poignée d’élèves », demandait à la direction que le collectif puisse organiser des conférences sans risque de censure systématique.

Le collectif Palestine ENS avait donc proposé trois conférences dans le cadre de l’Israeli Apartheid Week (IAW), du 8 au 10 mars. Refusant catégoriquement toute négociation et toute explication de sa décision, la directrice, Monique Canto-Sperber (MCS), a de nouveau interdit la tenue de ces conférences. Le collectif a décidé de saisir le tribunal administratif qui a déclaré le 26 février que MCS avait « dans l’exercice de ses fonctions, porté une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté de réunion qui constitue une liberté fondamentale ». Le 7 mars, le Conseil d’Etat a en revanche estimé que l’interdiction n’était pas « manifestement illégale ». L’argumentaire du Conseil d’Etat reprend en substance celui de la directrice de l’ENS.

Le Conseil d’Etat stipule que l’établissement a vocation à se focaliser sur ses missions d’enseignement et de recherche, reléguant d’un revers d’épitoge la forte tradition d’accueil de conférences publiques à caractère politique à l’ENS. Jusqu’à très récemment, des réunions publiques et des meetings (le Front de Gauche en 2010, Vincent Peillon et Daniel Cohn-Bendit en 2009, Patrick Devedjian en 2006) ont été tenus avec l’aval de la direction. Comme la plupart des conférences à l’ENS, celles-ci étaient ouvertes au public. Les présomptions de troubles à l’ordre public qui avaient déjà été invoqués afin de justifier de l’annulation de la conférence de Stéphane Hessel n’ont, semble-t-il, posé problème ni à ces occasions ni, par exemple, lors du colloque sur la légitimité du sionisme (mai 2010). En dépit d’un effort de compromis, il ne semble pas que l’annonce par le collectif de la limitation de l’accès aux conférences aux seuls détenteurs d’une carte ENS ait été prise en compte.

DIVERSITÉ D’OPINIONS

La directrice prétend que les conférences organisées à l’ENS engagent l’école, et que la tenue de l’IAW aurait nui à son image. La participation annuelle de l’Université Oxford à l’IAW a-t-elle affecté son image ? En suivant ce raisonnement, l’ENS devrait cautionner tous les propos qui sont tenus en son sein… Doit-on en déduire que seules les thèses défendues par MCS ont droit de cité à l’école ? Nous refusons de croire que l’école se réduit à sa directrice et nous défendrons jusqu’au bout le droit de la communauté normalienne à exprimer ses opinions, dans toute leur diversité.

Par ailleurs, le programme de nos conférences, s’inscrivant dans le cadre de l’Israeli Apartheid Week, avait pour objectif de préciser la notion d’apartheid israélien. Le communiqué de presse du Conseil d’Etat annonce de son côté que nos conférences appelaient « au boycott des échanges scientifiques et économiques » avec Israël – reprenant par là même le crédo de la direction. Si nous ne pouvons exclure qu’un participant aurait légitimement voulu débattre de la question du boycott, le procédé de réécriture nous semble un peu grossier de la part d’une si prestigieuse institution.

Nous sommes surpris que Bertrand Delanoë se soit impliqué dans cette affaire en recommandant à MCS un avocat membre du comité directeur du Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF). Faut-il s’étonner de l’intervention de la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche ? Valérie Pécresse a envoyé une lettre au Conseil d’Etat avant qu’il ne prenne sa décision, accompagnée d’un mémoire de soutien à la direction de l’ENS. Il semblerait que le gouvernement ait craint que l’ordonnance du TA ne fasse jurisprudence et qu’à travers toute l’université française des discours critiques à l’égard de la politique israélienne puissent se diffuser. Cette parole qui s’appuie pourtant sur le droit international se trouve très régulièrement interdite dans les universités françaises, voire même dans des salles publiques, comme la conférence de Leila Shahid autour de l’œuvre de Jean Genet à Marseille (janvier).

Le collectif compte donc lancer une procédure de fond auprès du tribunal administratif et faire appel de la décision du Conseil d’Etat devant la Cour européenne des droits de l’homme et le Comité des droits de l’homme des Nations unies. Notre terrain est celui du droit et de la liberté et notre volonté est de dénoncer le crime d’apartheid dont est victime le peuple palestinien.

le collectif Palestine ENS

Source : http://www.lemonde.fr/idees/article/2011/03/10/reflechissez-vous-vous-indignerez_1491309_3232.html