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09/08/10

Réponse de Michel Warschawski à la CGT

Approfondissons le débat, maintenons l’unité
(Réponse de M. Warschawski à une  réponse sur la campagne BDS )

Cher camarade Jean François,

Militant, en Israël, dans le cadre de Boycott from Within (Boycott de l’intérieur), ta prise de position, au nom de la CGT, sur cette campagne m’interpelle et me fais rebondir sur certaines de tes affirmations. On aura certainement l’occasion d’en discuter plus a fond a la Fête de l’Humanité, et en particulier a la table ronde sur le BDS (boycott, désinvestissement, sanctions).

Sur un point, au moins, nous sommes tout a fait d’accord, et il est, à mes yeux, le plus important: la nécessite de créer un mouvement et une mobilisation les plus larges possibles contre l’occupation/colonisation israélienne, en Europe comme en Israël. Ce qui implique, bien évidement, une politique souple, capable de mettre en motion des gens et des organisations défendant des analyses et des positions variées. Je rejette catégoriquement une approche « centraliste » de la campagne, qui déciderait pour tous et toutes ce qu’il faut faire: les niveaux de conscience sont différents, les réalités locales le sont aussi, et a chacun et a chaque collectif de prendre ses responsabilités en fonction de ces réalités multiples. La campagne menée a Montpellier sur Agrexco est en ce sens exemplaire, car elle est en phase avec les spécificités locales liées au port de Sète et a Georges Freche.
En ce sens, la campagne de boycott des produits des colonies n’est pas « alternative » au BDS, mais une de ses variantes, de même que, autre exemple, la campagne belge contre Dexia. Il en est de même en Israël: Boycott de l’Intérieur n’organise pas un boycott des produits israéliens – on serait depuis longtemps morts de faim – mais donne sa caution, en tant qu’israéliens à la campagne BDS internationale. Comme tu le fais remarquer, le mouvement anti-colonialiste israélien n’a pas une position unanime sur cette question et j’ajouterai qu’au sein même des organisations qui le composent, s’expriment parfois des divergences, comme pour le Parti Communiste Israélien qui ne défend pas le BDS mais dont certaines dirigeantes sont très actives dans la coalition des femmes pour la paix qui est au cœur de la mobilisation en faveur du BDS en Israël.
Que la CGT ait fait le choix de boycotter les produits des colonies est une bonne chose, dans la mesure où ses centaines de milliers d’adhérents non seulement cessent d’acheter ces produits mais aussi sensibilisent autour d’eux sur la réalité de l’occupation et les méfaits de la colonisation, du moins nous l’espérons.

Ceci dit, la campagne BDS est une réponse a un appel palestinien, unissant toutes les composantes de la société palestinienne – y compris tous les partis et les confédérations syndicales – et en tant que tel c’est cet appel qui en fixe le cadre, même si, évidement, chacun reste libre de l’appliquer (ou non) tel qu’il/elle l’entend. Le mouvement national palestinien après avoir renonce a la lutte armée, a fait le choix d’une solution politique négociée par la diplomatie. Nous, mouvement de solidarité international et israélien, n’avons pas réussi à imposer a nos gouvernements de mettre en œuvre les moyens nécessaires pour que celles-ci soient conduites de bonne foi et sur la base du Droit international, permettant ainsi au gouvernement israélien de faire trainer les choses pour continuer de plus belle sa stratégie de colonisation.
L’échec de la lutte armée (souhaite, il faut le reconnaitre, par certaines composantes du mouvement de solidarité en entretenant l’amalgame entre lutte armée et terrorisme) et l’impasse du processus négocié ont pousse les palestiniens a adopter la stratégie offensive du BDS: il serait, à mes yeux, de très mauvais goût qu’on essaie, nous, de lui dicter la aussi des limites et des réserves.
Cette campagne internationale (et palestinienne) de BDS concerne l’Etat israélien et ses institutions, pas seulement ses colonies. Elle dit, pour faire court: Tant qu’Israël ne respecte pas le Droit international et les résolutions de l’ONU, tant qu’Israël est un Etat hors-la-loi, il doit être sanctionné, y compris par des procès contre d’éventuels crimes de guerre, le rappel d’ambassadeurs (comme l’a fait le Venezuela) et/ou par le désinvestissement et le boycott,
La CGT peut être en désaccord avec certaines de ces mesures, les trouver exagérées voire extrémistes, mais elle ne peut pas dénaturer le contenu de l’appel, unanime, de la société civile palestinienne qui est le cadre de la campagne internationale.

Ta « Réponse ouverte » ouvre en outre une série de questions politiques qui, pour le moins, posent problème:
a) « La référence récurrente avec l’Afrique du Sud »: toute comparaison a évidement ses limites et chaque régime colonial ses spécificités, personne ne peut le nier. La référence s’applique néanmoins à minima dans la pratique d’un Etat qui opprime une communauté sur une base ethnique ou nationale, fait de la séparation (apartheid en Afrikaans) et de la ségrégation des valeurs essentielles du régime et de son idéologie, viole a la chaine les résolutions de l’ONU et les clauses de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme;
b) « L’utilisation généralisée du qualitatif d’apartheid »: la aussi, s’il est important de montrer les différences avec l’apartheid sud-africain, l’existence de « réserves » (ce que Sharon appelait les « cantons ») palestiniennes, la discrimination des droits sur une base ethnique ou nationale, et la centralité de la philosophie de séparation ont des résonnances réelles avec l’apartheid;
c) « la centralité politique et le caractère non négociable du droit (…) de tous les refugies de retourner dans leurs maisons (…) » La, excuse moi, mais tu vas très loin dans la légèreté avec laquelle tu traite le Droit et les droits: il s’agit non seulement d’un droit humain de base mais d’une résolution de l’ONU votée, en 1948, y compris, on l’oublie, par Israël, régulièrement réitérée par l’immense majorité des Etats membres de l’Assemblée Générale des Nations Unies. D’ailleurs, dans les accords d’Oslo, Israël s’engageait à mettre ce thème au cœur des négociations sur le statut final. Certains – dont je ne suis pas – suggèrent de négocier la mise en œuvre de ce droit, toi tu va jusqu’à remettre en question le droit lui-même…
d) Ta conclusion – et là tu brandis le drapeau noir du danger absolu, voire de l’hérésie totale: « l’ensemble de ces éléments présente à l’évidence (…) une certaine cohérence: la solution politique d’un seul Etat (en gras dans l’original, pour faire encore plus peur).  » Tu le sais sans doute, l’idée d' »un seul Etat » ne me fait pas peur; comme pour la majorité des Palestiniens, elle me fait même rêver. Mais ici, dans ce débat sur sanctions et apartheid, ce n’est pas du tout la question, et tu t’en sers en fait uniquement pour délégitimer la campagne BDS. Les Palestiniens, et quasiment tous ceux qui les soutiennent, combattent pour un Etat Palestinien indépendant en Cisjordanie et a Gaza. Tant que ce compromis semblera encore réalisable dans le temps court les Palestiniens se battront pour, et a nous de les soutenir pour l’obtenir. Ceci dit, de plus en plus de leaders Palestiniens – comme Nabil Shaath qui même à tes yeux n’est pas un rêveur gauchiste – commencent a affirmer haut et fort que la « porte d’opportunité » pour le compromis historique proposé par Yasser Arafat en 1988 (« deux Etats ») risque bientôt de se refermer. Appeler à des sanctions contre Israël, y compris son boycott, n’est pas antithétique avec la revendication pour un Etat palestinien indépendant en Cisjordanie et a Gaza, mais, au contraire, un moyen pour la conquérir, en forçant l’Etat d’Israël a se retirer des territoires qu’il occupe.
e) Si on te lit en détails, tu voudrais en fait aller plus loin, et te servir du soutien au BDS pour casser l’unité, chèrement acquise, du mouvement de solidarité. Loin de te contenter d’écrire « BDS, non merci, la CGT est contre » tu écris : « Cette demande de ralliement (a la campagne BDS, MW) pose la question de savoir si nos objectifs, bien que différents, n’en sont pas moins compatibles, c’est-à-dire si la cohabitation- dans des plates-formes, des collectifs nationaux ou locaux, dans des actions et des déclarations communes – est un facteur d’efficacité ou au contraire un élément de brouillage du message ne favorisant pas les mobilisations et donc ne participe pas au renforcement du mouvement de solidarité pour une paix durable. » On ne saurait être plus clair, même si c’est un langage caduc et un positionnement plutôt déconnecté des rapports de forces réels dans le mouvement de solidarité. Ceci dit, c’est grave.
f) La dernière de tes justification me concerne encore plus directement, en tant qu’acteur dans le « mouvement de la paix israélien » : « Les campagnes BDS puniraient le mouvement de la paix israélien (…) l’élément essentiel est de savoir ce que ces organisations (celles qui, en Israël, soutiennent le BDS) représentent par rapport au camp de la paix et par rapport a la population israélienne. » Concernant cette dernière interpellation ma réponse sera : par rapport à la population de mon pays, malheureusement très peu ; par rapport au « mouvement de la paix », malheureusement aussi, l’écrasante majorité, parce que le « camp de la paix » large, celui dont les militants se seraient certainement opposes au BDS, a littéralement cesse d’exister depuis une dizaine d’année. Je l’écris avec tristesse et un grand souci : les défenseurs du BDS sont, sans doute, majoritaires dans le mouvement de la paix, parce que tous les autres ont implosé, disparu, à la veille de la Seconde Intifada. Bref, le mouvement de masse qui avait eu ses heures de gloire pendant la guerre du Liban (1982-1985) et l’Intifada (1988-1990) est, pour reprendre le constat du chroniqueur du Haaretz Gideon Levy, « mort et enterré ». Nous en sommes, plus ou moins, réduits à ceux pour qui l’acronyme BDS ne fait pas peur. Le « mouvement de la paix israélien » ne serait pas puni par une campagne BDS, il l’a déjà été pour son soutien à Ehoud Barak au début de ce millénaire.
g) Mais au delà de ce constat politique se pose une question de principe qui avait déjà fait l’objet de clarifications importantes de la part de mouvements de libération tel que le FLN algérien ou l’ANC sud-africaine : ce n’est pas le bien-être des mouvements de solidarité et leurs difficultés à convaincre la population de l’Etat oppresseur qui doit dicter la ligne des mouvements de libération, mais c’est plutôt à ces mouvements de solidarité d’ « être solidaires » des choix de ceux qu’ils prétendent soutenir. C’est la un débat récurant et qui, semble-t-il, nous sépare sur le fond. Ce qui n’exclue pas, bien entendu, et quelle que soit ta volonté de remettre en question « la cohabitation, les plateformes, les collectifs nationaux ou locaux, des actions et des déclarations communes », l’impérieuse nécessité de combattre ensemble.

 

Voir le communiqué original de la CGT
 Voir la réponse de la Campagne BDS France
Voir la réponse de Jean-François Courbe, de la CGT