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13/04/12

Sur la rhétorique des « deux côtés »

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Il en est ainsi des artistes qui disent vouloir se produire en Israël, mais aussi « de l’autre côté » (sous-entendu « du Mur ») ; des politiques qui serrent la main des leaders israéliens, mais aussi des leaders palestiniens ; des institutions qui collaborent avec des organismes israéliens, mais aussi palestiniens ; des collectivités qui font de la coopération décentralisée avec des villes israéliennes, mais aussi palestiniennes ; des déclarations qui incriminent Israël mais aussi la Palestine ; etc.

Pourtant, égalité n’est pas équité. L’égalité consiste à traiter 2 personnes exactement de la même manière. L’équité consiste à prendre en compte le contexte pour traiter les 2 personnes de façon à les rendre plus égales, dans un souci de justice. C’est pour cela, par exemple, que nous ne payons pas tous les mêmes impôts.

Quand j’étais petite et que je me chamaillais avec ma sœur, ma mère nous traitait de la même façon, en nous disant « la plus intelligente est celle qui s’arrête en premier ». Parce qu’elle n’avait pas vu qui avait commencé la dispute et parce que, dans le fond, elle savait bien que nous étions toutes les deux un peu responsables et qu’aucune injustice grave n’avait eu lieu qui mérite de punir l’une plus que l’autre. Elle nous demandait alors de « faire la paix ».

Le regard des « arbitres » occidentaux sur le Proche-Orient adopte malheureusement cette attitude paternaliste : Israël et Palestine seraient pareils à des frères qui s’entendraient comme chien et chat et à qui il faudrait de temps en temps rappeler qu’il faut être sage et « faire la paix ».

Ce paradigme « équilibriste », ou « équilibriciste » est non seulement faux, mais fondamentalement injuste. Il repose sur une vulgaire analogie d’avec les deux camps symétriques de la guerre froide, sur une paresse intellectuelle refusant la complexité des choses, sur un déni inconscient de l’injustice profonde de la situation, ou sur cette vision un peu niaise d’un conflit lointain. Il est injuste à plusieurs titres :

D’abord, les 2 parties ne se valent pas : Israël est un Etat reconnu par les institutions et les traités commerciaux, avec une armée puissante qui est au cœur de sa politique ; la Palestine n’est qu’un Etat en devenir, sous occupation et désarmé. Israël est un territoire uni et en expansion par la colonisation ; la Palestine est un territoire scindé et de plus en plus morcelé, qui n’a même pas le contrôle de ses frontières.

Par ailleurs, le discours sur « les 2 côtés » donne la dangereuse illusion d’un statu quo à partir d’une frontière fixe. La vision qui en découle est celle d’un cessez-le-feu, où seules quelques bombes et roquettes passeraient d’un côté à l’autre du Mur de temps à autre. Pourtant, le Mur dit de « séparation » ne sépare pas « les deux » : il est presque toujours érigé au sein même du territoire palestinien pour en annexer une partie. Et avec la construction quotidienne des colonies, ces annexions continuent sans cesse, diminuant chaque jour le territoire palestinien comme peau de chagrin. La situation n’est donc pas statique mais le fruit d’un rapport de force actif de dominant à dominé qui va en s’accroissant et qui mise sur le temps pour s’imposer par des principes de faits accomplis supposés irréversibles (dans la destruction des habitations, villages et champs palestiniens, autant que dans la construction des colonies, infrastructures et mur israéliens). Et ce bulldozer continuellement à l’œuvre n’est pas que du côté « palestinien » : à l’intérieur d’Israël même, la Nakba, qui a expulsé de chez eux 85% des Palestiniens en 1948, continue quotidiennement pour ceux qui y étaient restés et leur descendance : l’épuration ethnique est toujours en marche à chaque fois qu’un village est détruit, qu’une maison est rasée, chaque fois qu’un Palestinien ayant la citoyenneté israélienne se la voit retirée sous n’importe quel prétexte, l’obligeant à partir.

La rhétorique des « 2 côtés » conduit également à mettre dos à dos « propalestiniens » et « proisraéliens ». Or, ceux qu’on appelle des « propalestiniens » sont en fait, en Palestine, en Israël et partout dans le monde, des partisans de la justice au Proche-Orient, qui ne défendent pas un peuple pour son identité, mais parce qu’il subit des injustices au regard de valeurs universelles, et parce que la paix, qui doit suivre la justice, sera aux bénéfices de tous. Par ailleurs, de nombreux Palestiniens sont eux-mêmes des citoyens israéliens, et de nombreux israéliens juifs se revendiquent de la défense des droits des Palestiniens. Ceux qu’on appelle « proisraéliens » sont surtout les partisans d’une idéologie colonialiste d’un autre temps. L’objectif de cette idéologie n’est pas la défense de la société israélienne – en quoi l’instauration d’un régime belliciste, liberticide et d’apartheid leur serait-elle profitable, à terme ? A part peut-être pour quelques fanatiques. Son objectif est surtout la défense des intérêts économiques et politiques de l’Etat d’Israël en tant que source de profit réelle ou supposée pour la communauté de ses partisans.

Quand on reconnaît que la balance de la justice penche plus lourdement d’un côté que de l’autre, quelle logique défend qu’on la rééquilibre en mettant le même poids sur chacun de ses plateaux ? Qui peut croire que la situation se réglera naturellement à force que l’arbitre appelle les deux parties à faire des efforts, des concessions, des compromis, des propositions… « de chaque côté » ? L’arbitre ne voit-il pas que l’un des camps tient l’autre à la gorge ? Que le premier n’a pas intérêt à entendre les appels à la paix, et que le second ne pourra rien faire tant qu’il est à genoux ? Ne voit-il pas qu’il ne s’agit pas d’un jeu où chacun a la même mise de départ, mais de la loi du plus fort qui s’appliquera jusqu’à ce que mort s’ensuive ? Combien de temps continuera-t-on encore à agiter le drapeau blanc sous le nez des « 2 parties » au lieu de se décider à peser pour ceux dont les droits humains à la souveraineté, à la sécurité, à l’accès à l’eau, à la liberté de circulation, au travail, à la santé, à l’éducation… sont quotidiennement bafoués ?

Chaque conscience et chaque institution doit se positionner. Que ceux qui endossent le costume d’arbitre international arrêtent au minimum de soutenir le côté du plus fort avec leurs contrats, invitations, coopération, relations commerciales… Chaque fois qu’un Etat, une entreprise ou une institution inscrit le mot « Israël » sur la liste de ses partenaires, elle rajoute un poids dans la balance du côté du plus fort, en cautionnant activement une politique d’occupation, de colonisation et d’apartheid assumée par un gouvernement qui s’en prend actuellement jusqu’aux ONG israéliennes. Inscrire à côté le mot « Palestine » n’annule pas le premier, mais démontre simplement un manque de cohérence et d’éthique, compte tenu de la situation.

Être neutre revient à être indifférent, donc complice de la situation qui s’aggrave au bénéficie du plus fort. Le discours équilibriciste n’est donc ni plus ni moins qu’une collaboration active à la politique israélienne. Dans ce contexte, toutes les coopérations, aides ou collaborations avec des institutions palestiniennes perdent leur sens si elles viennent en parallèle ou en contrepoids de collaborations avec Israël. D’ailleurs, si Israël respectait les droits des Palestiniens à vivre par eux-mêmes et à agir librement, ceux-ci n’auraient besoin d’aucune coopération ou aide au développement pour pallier les effets de la domination coloniale.

Il n’y a pas « deux côtés » symétriques au Proche-Orient. Il y a une justice universelle défendue de part et d’autre du Mur, et il y a ceux qui ne veulent pas voir que cette justice est inéluctable.

Magali Audion

La rhétorique gentillette des « 2 côtés », symbolisée par ces naïfs drapeaux côte à côte et la colombe, ne résiste pas à la réalité totalement asymétrique de la domination coloniale :
Sur la photo ci-dessous, des colonies israéliennes se construisent autour d’un dispensaire palestinien de Ras El ‘Amoud à Jérusalem-Est, en 2009.

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Sur la photo ci-dessous, deux ans après, la colonie a abattu une partie du mur du dispensaire, a recouvert la cour et érige ses herses contre qui voudrait s’y opposer.

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