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02/09/15

L’impact du BDS sur l’économie israélienne – Focus sur 2014

Shir Hever, conférence à Bonn, Allemagne, le 14 mars 2015
L’année 2014 a été l’année pendant laquelle le mouvement BDS mondial (boycott – désinvestissement – sanctions) a atteint les grands médias en Israël. Un nouveau magazine d’actualités diffusé aux heures de grande écoute a consacré 20 mn au BDS (le 18 janvier), et la plupart des ministres du gouvernement ont réagi. Les nouvelles directives adoptées par l’Europe sont entrées en application en janvier 2014 et ont expliqué au public israélien le fait que la pression internationale sur Israël allait continuer à augmenter. La Ministre de la justice, Tzipi Livni, a averti qu’Israël allait vers une situation semblable à celle de l’Afrique du Sud du temps de l’Apartheid : boycottée par le reste du monde.

Un très rapide résumé des principaux événements BDS en 2014 comprend la décision du fond de pension Néerlandais PGGM de désinvestir de cinq banques israéliennes, la perte par Véolia d’un contrat de 4 milliards de dollars à Boston ; Scarlett Johansson a dû abandonner son rôle d’Ambassadrice d’Oxfam à cause de sa participation à la promotion commerciale de Sodasteam ; la plus grande banque danoise a blacklisté la banque israélienne Hapoalim ; le parlement sud africain a voté une résolution de soutien à BDS ; deux firmes européennes ont abandonné le projet de construction d’un port à Ashdod ; le syndicat des étudiants de l’Université du Kent a annulé un contrat avec G4S ; le fond de pension luxembourgeois FDC a désinvesti de 9 firmes israéliennes ; le syndicat des étudiants de l’université de Galway adopte le BDS ; l’église méthodiste US appelle au boycott de Sodastream ; Buenos Aires annule un contrat de 170 millions avec Mekorot (la compagnie d’eau portugaise EPAL a rejoint le boycott une semaine plus tard) ; le syndicat national des enseignants du Royaume Uni adopte le boycott ; l’UE bannit l’exportation de volailles des colonies puis étend l’interdiction aux productions animales ; le rappeur Talib Kweli annule un concert en Israël ; l’association des étudiants de l’université de Santa Cruz passe une motion pour désinvestir ; Bill Gates vend ses parts dans G4S ; G4S annonce qu’il va mettre fin au contrat avec les prisons israéliennes ; l’église presbytérienne vote pour désinvestir de Caterpillar, HP et Motorola ; le fond de pension Néerlandais ABP désinvestit de deux entreprises d’armement israéliennes ; Sinéad O’Connor annonce qu’elle ne jouera pas en Israël ; quatre municipalités écossaises adoptent BDS ; Georges Soros vend ses actions Sodastream ; un cargo israélien est empêché de décharger à Oakland pendant 4 jours ; la chaîne de supermarchés SuperValu arrête de vendre des produits israéliens en Irlande. Cette très longue liste n’est que partielle. Évidemment ce n’est pas quelque chose que les Israéliens peuvent ignorer.

En 2005, quand plus de 170 organisations de la société civile palestinienne lancèrent l’appel du BDS, de fortes discussions sur la question s’ensuivirent dans la gauche israélienne. Des membres de la gauche (comme Uri Avneri), dirent que le BDS allait faire que les Israéliens se sentiraient coincés, que la société israélienne s’enfermerait encore plus dans sa forteresse défensive et que son agressivité contre les Palestiniens augmenterait. Cet avertissement s’est avéré absolument vrai, et l’année 2014 fut celle où c’est devenu absolument évident. Nous reviendrons sur cet avertissement à la fin de cet exposé.

Comme il est facile d’ignorer les premiers mois de 2014, au regard de ce qui s’est passé ensuite. Mahmoud Abbas forme le gouvernement d’union nationale, trois colons sont assassinés, Netanyahou accuse Hamas et appelle à la vengeance. L’armée israélienne envahit la Cisjordanie, dans un assaut qui conduit rapidement à une invasion et à un bombardement de Gaza comme on ne l’avait jamais vu jusque là. Presque immédiatement après le cessez le feu à Gaza, des affrontements éclatent à Jérusalem. Des opérations militaires et policières massives à Jérusalem Est contre les Palestiniens et une série d’attaques de Palestiniens contre des cibles civiles. Ces événements de sont pas sans lien avec la pression internationale sur Israël.

Le lien se trouve dans les débats en Israël sur le niveau de vie, la détérioration des conditions sociales, la stagnation des salaires et l’augmentation croissante du coût de la vie et le manque de logements. Les protestations sociales en Israël se sont bien gardées d’en parler, mais de nombreux Israéliens réalisent que les ressources nécessaires pour changer la situation sociale en Israël sont accaparées par la sécurité et l’armée. Aucun pays développé au monde ne dépense, pour la sécurité, une part du budget de l’État équivalente à celle d’Israël. L’organisation suédoise SIPRI estime les dépenses militaires israéliennes à 6 ou 8 % du PIB, mais l’organisation israélienne de droite INSS (Institut National des Études de Sécurité) avance des chiffres encore supérieurs. Il n’y a pas de pays plus militarisé au monde qu’Israël, mais, quand des politiciens tentent de couper dans le budget de la défense, les haut gradés de la défense effraient le public avec le terrorisme, Daech, Hamas, la Syrie etc. Après les élections de 2013 en Israël, les médias ont présenté une analyse en termes de deux discours en compétition : un discours socio-économique vs un discours sécuritaire. C’est une équation cruciale et un message clair. Si les gens sont plus préoccupés par leur niveau de vie, la puissance militaire d’Israël peut en souffrir. Si la sécurité prend la priorité, aucune avancée ne sera possible pour le bien-être du public.

Le mouvement BDS change la donne parce qu’il met cela au grand jour : la société israélienne doit payer un prix économique pour l’occupation, la colonisation et l’apartheid. Ce ne sont pas seulement quelques économistes qui spéculant sur la manière dont le niveau de vie pourrait augmenter si on parvenait à la paix. C’est un mouvement mondial qui appelle à une pression économique pour qu’Israël respecte le droit international, et tous les Israéliens sont conscients de son existence.

En 2014, Abbas a pris un grand risque en formant le gouvernement d’unité nationale et en signant la convention de Rome de la Cour de Justice Internationale de La Haye. Et le 5 mars 2015 (la semaine dernière), l’OLP a voté la suspension de la coopération de sécurité avec Israël. Ces changements sont importants. Ils peuvent sonner la fin de l’Autorité Palestinienne, mais plus important, ils dissipent l’illusion qu’il y a un processus de paix, et par là même ils sapent la principale stratégie du gouvernement israélien de maintien du statu quo – le bluff de la poursuite d’un processus de paix.

La réponse du gouvernement israélien fut extrêmement brutale, comme vous le savez tous. La mort, les blessures, les souffrances et la pauvreté infligées aux Palestiniens en 2014 ne peuvent pas convaincre les Palestiniens de cesser leur lutte pour la liberté, mais peuvent lever les flammes de la violence et rendre certain qu’en Israël les généraux se mettent en scène et donnent des interviews tous les jours au journal du soir. Ce n’est pas une mince affaire pour le gouvernement israélien. L’invasion de Gaza a suscité une forte résistance et causé un énorme dommage à l’économie israélienne. Sans même compter les torts à long terme sur l’industrie touristique, le centre de recherches Adva estime que l’attaque « Bordure protectrice » de Gaza a coûté de 10 à 12 milliards de NIS (environ 2,5 milliards d’Euros). Et ceci alors que tous les services sociaux en Israël sont en crise.

Le seul espoir pour le gouvernement de droite israélien est de changer de sujet pour maintenir la population en état de peur permanente. Ils essaient de changer de registre pour que les gens ne pensent pas « oh, mes conditions de vie sont mauvaises parce que le monde nous boycotte à cause de notre politique », mais « oh, mes conditions de vie sont mauvaises parce que nous devons acheter plus d’armes pour combattre le Hamas qui veut nous tuer ». Netanyahou a été interrogé le 31 août sur l’importance du budget de la défense prévu pour 2015, et sa réponse a été révélatrice de la position du gouvernement israélien. Il a dit «La vie passe avant la qualité de la vie ». Sa survie politique repose sur le conflit. Et c’est pourquoi son gouvernement a duré moins de 2 ans. Il a appelé à des élections anticipées parce qu’il a besoin d’élections dans la foulée du conflit armé de 2014, tant que le souvenir de la peur est encore frais, dans le but d’éviter une discussion sur l’économie et les questions sociales.

C’est exactement l’avertissement que donnaient ceux qui critiquent le BDS. Ils disaient que la pression internationale allait pousser la société israélienne plus à droite, que le gouvernement deviendrait désespéré et plus violent. Ils avaient raison bien sûr, mais ce n’est qu’une partie du tableau, comme l’ont dit les militants du mouvement BDS depuis le début. L’autre aspect de la question est : quelle est l’alternative ? Croyons nous que sans la pression internationale Israël abandonnera son contrôle du territoire palestinien et commencera à respecter le droit international ? Bien sûr que non. Et y a-t-il jamais eu dans l’histoire un cas d’empire colonial abandonnant son pouvoir et respectant les droits des populations autochtones de sa propre volonté ? Pas un seul. Ce n’est que quand les peuples autochtones mènent une longue et difficile lutte qu’ils peuvent forcer les maîtres coloniaux à cesser la répression.

Pouvons nous être sûrs qu’après toute cette violence et cette répression, la pression va forcer le gouvernement israélien à reconnaître les droits des Palestiniens et en finir avec le système d’apartheid ? Je ne pense pas que l’on puisse en être sûr. Une lutte sanglante est en cours, et la violence ne tire pas le meilleur des peuples. Le gouvernement israélien développe des formes de répressions plus sophistiquées, alors que de nombreux Palestiniens perdent espoir et décident de renoncer à la vie pour faire un peu souffrir leurs occupants.

BDS, cependant, est une force d’espoir. Parce que c’est un mouvement basé sur les droits et établi sur le droit international, il s’ouvre à tout le monde. Il rappelle aux Israéliens que leur société est construite sur de graves injustices, et que s’ils nient l’existence de ces injustices, ils seront isolés en permanence dans le monde. Il rappelle aux Palestiniens qu’il existe une stratégie de libération qui ne passe pas par le canon du fusil. C’est pourquoi Netanyahou (et d’autres dirigeants israéliens) sont si menacés par BDS et que depuis 2012 Netanyahou ne cesse de répéter que BDS est antisémite. Aucune autre déclaration de Netanyahou n’a conduit autant de Juifs du monde entier à soutenir BDS.

Vraiment, le temps presse, parce que les Palestiniens perdent patience, et parce que le public israélien se résigne graduellement à vivre dans un état sécuritaire, avec des drones dernier cri volant sur leurs têtes mais avec des hôpitaux et des salles de classe dignes du tiers monde. Mais grâce à la lutte persistante des Palestiniens et au soutient qu’elle reçoit du mouvement de solidarité internationale, il y a aussi des fissures dans la machine de guerre israélienne. Par exemple, il y a une importante émigration d’Israéliens éduqués hors d’Israël, un message pour ceux qui restent en Israël, que l’idéologie sioniste ne convainc plus les gens de sacrifier leur qualité de vie pour les idéaux sionistes. Après tout, à Berlin vous pouvez avoir à la fois la vie et de meilleures conditions de vie.

Mais sans doute avez-vous entendu que de nombreux Juifs (en particulier de France) viennent en Israël, à cause de la soi-disant vague antisémite en Europe. Le 18 février, Zvi Barel de Ha’aretz a écrit : « Les Juifs qui ont souffert de l’antisémitisme européen vont l’échanger contre le racisme israélien. Ils vont découvrir qu’ils sont devenus citoyens d’un pays occupant, cette même occupation qui a contribué à ce même antisémitisme qui les a fait faire leurs valises en premier lieu… » Il est important de comprendre que n’importe quel Juif européen peut venir en Israël et recevoir un passeport, des cours d’Hébreu gratuits et quelques autres avantages. Après quelques semaines ou quelques mois, ils peuvent rentrer chez eux en France. Mais le gouvernement israélien veut présenter cela comme une « immigration de masse » et même l’ambassadeur en Allemagne Ya’akov Hadas a rejoint les antisémites en appelant les Juifs européens à partir de chez eux pour aller en Israël. Ne vous inquiétez pas, très peu ont été convaincus.

Nous ne pouvons pas savoir à l’avance quel serait le point de rupture de la société et du gouvernement israéliens. Je ne sais pas quand ils vont réaliser qu’ils n’ont pas d’autre choix que celui de respecter les droits des Palestiniens en tant qu’être humains. Mais nous savons que lorsqu’ils l’auront fait, leurs opinions politiques changeront aussi. En Afrique du Sud, juste avant la chute de l’Apartheid, la grande majorité de la population blanche soutenait l’Apartheid. Juste après sa chute, ils disaient tous « nous avons toujours été contre ». Il n’y a pas de raison de penser que l’Apartheid en Palestine finisse autrement.

Source:

https://senderfreiespalaestina.de/english.htm

Traduction : SF pour BDS France