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21/02/14

Un ouvrier palestinien : « SodaStream nous traite comme des esclaves ».

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Le 9 mai 2013, par Stephanie Westbrook, The Electronic Intifada

La vidéo de 8,5 minutes se focalise sur l’usine de la firme localisée à Mishor Adumim, la zone industrielle de la colonie illégale israélienne Maale Adumim en Cisjordanie occupée et sur ses travailleurs palestiniens. Le message envoyé par toute la vidéo est que l’usine coloniale de la compagnie et un « sanctuaire fantastique de coexistence » et que malgré sa construction sur des terres palestiniennes volées, elle bénéficie à l’économie et aux travailleurs palestiniens.

La vidéo a été récemment montrée à M., un employé palestinien de SodaStream qui a travaillé longtemps sur la chaîne de montage à Mishor Adumim et qui vit en Cisjordanie sous occupation israélienne. M. a parlé à The Electronic Intifada sous condition d’anonymat.

Sa réaction immédiate à la présentation béate de la vidéo a été celle d’un choc.

« Mensonges »

« Comme Palestinien, je me sens humilié et couvert de honte, parce que les déclarations de cette vidéo sont toutes des mensonges. Nous, les travailleurs palestiniens de cette usine, nous voyons tous comme en esclavage », a dit M.

La publication de la vidéo a coïncidé avec le lancement de campagnes de boycott de SodaStream aux USA, considérés comme le marché le plus important de la compagnie. Profitant de la grande offensive de marketing de la compagnie aux USA, dont une pub de 4 millions de dollars au Super Bowl, les campagnes de boycott ont réussi à attirer une couverture de presse exposant la complicité de SodaStream avec les violations israéliennes du droit international.

M. et ses compagnons de travail n’avaient pas connaissance du boycott. « Ils ne nous ont jamais rien dit sur les boycotts », remarqua-t-il.

Par contre le projet de vidéo a été présenté aux travailleurs comme un moyen de conserver leur boulot, menacé sinon à cause d’un manque de commandes. M. a dit que « Quand ils sont venus et nous ont parlé de la vidéo, ils ont annoncé qu’ils voulaient commercialiser SodaStream mondialement, avec une présentation spéciale pour les USA, et qu’ils voulaient montrer le travail et comment ça s’améliorait ».

M. et ses compagnons de travail entendirent que la compagnie prévoyait de « licencier certains travailleurs avant la fin de l’année», mais qu’une commande de 500 millions de dollars des USA avait changé les choses et qu’une « campagne pour soutenir les ventes de la compagnie » sauverait leurs jobs.

La vidéo de YouTube fait clairement partie de la campagne de comm de SodaStream, qui s’est concentrée dernièrement sur les travailleurs palestiniens de la compagnie. Dans un discours donné début février à un séminaire de soutien à Israël à Johannesburg, Amir Sagie, directeur du Département des questions de société civile du Ministère israélien des affaires étrangères, a déclaré : « SodaStream a des lobbyistes désignés – une initiative qui rapporte » (“Trends to expect from BDS & how to klap them,” MyShetl, 6 Février 2013).

D’après M., les travailleurs apparaissant dans la vidéo reçurent des instructions sur ce qu’ils avaient à dire. « En fait j’ai vu la préparation de la compagnie [pour la vidéo]; ils préparaient tous les travailleurs et leur disaient quoi dire et comment le dire », a-t-il dit.

Dans la vidéo, le PDG de SodaStream Daniel Birnbaum apparaît comme s’il était constamment présent dans l’usine de Mishor Adumim. M. a expliqué que ce n’est pas du tout le cas. « J’y ai travaillé longtemps,et je n’ai jamais vu à l’usine. C’est la première fois que je le vois [dans la vidéo]. Ils ont leurs bureaux en Israël et ne viennent pas ici », dit-il.

M. estime que SodaStream emploie 800-850 travailleursà la production, dont 90 % de Palestiniens. Les seuls juifs israéliens faisant du « travail manuel » sont des « nouveaux immigrants, comme ils les appellent ; olim hadashim ou ‘ juifs noirs’, comme il les décrivent ». Seule une toute petite fraction des Palestiniens employés a des posts plus élevés et il n’y en a aucun à la direction. « Dans tout SodaStream, il n’y a que deux contremaîtres palestiniens de Cisjordanie et ils sont sous le contrôle de deux arabes israéliens”, a dit M.

Discrimination

Interrogé pour savoir s’il y a une discrimination entre juifs noirs et blancs, M. répondit : « Oui, c’est certain. Vous ne [trouverez] pas de juifs blancs portant le yarmulke [une kippa] faisant un travail dur ou manuel. Les superviseurs qui font tourner l’usine sont surtout des Russes et ils sont encadrés surtout par les juifs blancs, et nous sommes des ‘Palestiniens’, rien que des travailleurs ».

M. parla aussi des discriminations à l’embauche, expliquant que « la plupart des Israéliens sont embauchés directement par la compagnie » tandis que les Palestiniens de Cisjordanie ont besoin d’un « permis spécial de sécurité pour être employés ». L’usine de la colonie a un officier de sécurité intérieure qui « se charge de demander les permis aux autorités israéliennes ».

M. ajouta que les travailleurs palestiniens de Jérusalem, comme les travailleurs immigrants et les juifs africains, travaillent via des compagnies externes d’intérim et peuvent être embauchés après neuf mois « s’ils s’avèrent être de bons travailleurs ». Sinon, dit-il «ils sont licenciés ».

Le récent rapport de la Mission d’enquête du Conseil des droits de l’homme de l’ONU sur les colonies israéliennes note qu’un « système rigoureux de permis et de quotas qui détermine l’emploi en Israël et dans les colonies est porté à des abus par les entrepreneurs et les intermédiaires ».

« Pas autorisés à prier »

La vidéo vante une mosquée sur place ou les travailleurs musulmans de SodaStream vont prier. M. raconte une histoire très différente. « Un bon exemple de ce qui m’a choqué, c’est les dires [dans la vidéo] sur la liberté de faire nos prières » dit-il. « Ces déclarations sont fausses. Il y a une complète discrimination contre les travailleurs [musulmans] et nous n’avons pas le droit de pratiquer notre religion ».M. nota que la mosquée montrée dans la vidéo « n’est que le vestiaire » et que les superviseurs avaient « même caché les tapis des travailleurs » pour essayer de les empêcher de prier. Les restrictions sont particulièrement sévères sur la ligne de montage où travaillent la plupart des Palestiniens de Cisjordanie. M. expliqua qu’ils ne sont autorisés à prier que si la prière tombe « pendant la pause déjeuner », sinon « ils n’ont pas du tout le droit de prier ».

Ce n’est pas la première fois que SodaStream fait de la promo pour célébrer le multiculturalisme. En 2009, après un traitement négatif par la presse en Suède, l’association des droits des travailleurs Kav LaOved a rapporté que SodaStream organisait « une fête célébrant la constitution multiculturelle de l’usine : Soudanais, Ethiopiens, Russes et Palestiniens ». Le groupe nota que « certains des travailleurs palestiniens, qui ne s’étaient pas inscrit pour l’événement, ne furent autorisés à participer que pendant 1 heure, et retournèrent au travail tandis que d’autres continuaient à célébrer le multiculturalisme en leur nom » (“Multiculturalism at the Soda Club factory,” 2 mai 2009).

Tandis que M. confirma que les travailleurs palestiniens sont payés actuellement « trois ou quatre fois le salaire que nous pouvons obtenir sous l’Autorité Palestinienne » – pas les quatre ou cinq fois plus souvent mentionnées dans la vidéo – ceci n’est venu qu’après des luttes et des protestations des travailleurs où beaucoup ont perdu leur travail, l’intervention de Kav LaOved et la publicité négative en Europe, comme l’a établi le groupe Who Profits from the Occupation? dans un rapport sur SodaStream (“SodaStream: A case study for corporate activity in illegal Israeli settlements,” Janvier 2011 [PDF]).

« Boulot dodo »

Cependant, l’insécurité de l’emploi et les dures conditions de travail rapportées par Who Profits persistent. M. a décrit la semaine de travail à l’usine comme « entre travail et lit », laissant peu de temps pour autre chose. Les employés travaillent dans un système « quatre-deux », signifiant qu’ils travaillent pendant quatre jours, 12 heure par jour, avec deux jours d’arrêt – totalisant 60 heures de travail par période de sept jours. D’après la loi israélienne Horaires de travail et repos, une journée de travail « n’excédera pas 8 heures ouvrées » et les travailleurs postés « n’auront pas plus d’une heure de travail supplémentaire par jour, et la moyenne pour trois semaines ne dépassera pas 45 heures de travail par semaine ».L’usine SodaStream a deux équipes, de jour et de nuit, et M. a expliqué que les travailleurs changent d’équipe tous les quatre jours avec « aucun jour où vous quittez tôt ». Les demandes pour quitter tôt sont rarement acceptées. Ces conditions de travail s’appliquent aux hommes comme aux femmes. M. a expliqué que les ouvrières travaillent aussi en équipe de nuit et de 12 heures.Il nota aussi qu’« il n’y a pas de majorations pour heures supplémentaires ou pour travail de nuit », en violation avec la loi Horaires de travail et repos.

Les travailleurs palestiniens doivent compter 2 heures de plus de transport vers et depuis la colonie israélienne où ils n’ont pas le droit de vivre, ce qui rallonge la journée ou la nuit de travail. « Ils nous emmènent à 6 heures du matin ou du soir et nous arrivons à la maison au moins 1 heure après le travail. On est hors de chez nous près de 14 heures et on n’a pas le temps de voir nos familles » a expliqué M.

Une grande famille ?

Le PDG de SodaStream Daniel Birnbaum a qualifié les travailleurs de l’usine comme une grande famille. M. a contesté ce portrait et expliqué certaines insécurités d’emploi que connaissent les travailleurs palestiniens : « Ils nous traitent comme des esclaves. C’est arrivé souvent sur la chaîne d’assemblage : quand un travailleur est malade et veut prendre un congé maladie, le superviseur le vire le lendemain. Il ne lui donne même pas d’avertissement ni ne l’envoie aux ressources humaines, il le licencie immédiatement.

Birnbaum déclare aussi dans la vidéo que SodaStream n’a reçu aucune incitation du gouvernement pour son usine de la colonie. Pourtant les trois rapports annuels de la compagnie constituée pour la Security and Exchange Commission des USA, y compris le rapport pour 2012, a clairement indiqué que le transfert de leur production « vers un lieu à l’extérieur des territoires disputés » pourrait « limiter certains avantages fiscaux »(“United States securities and exchange commission, SodaStream International Ltd.”). M. a indiqué qu’une certaine production est actuellement déplacée vers une nouvelle usine à Alon Tavor en Galilée, dans l’Israël actuel. « Maintenant ils ont un nouveau département d’assemblage en Israël, et [l’usine] à moins de travail. Ils forcent les travailleurs à travailler moins, quelquefois pour trois jours par semaine seulement, ce qui veut dire moins de salaire ». Ceux qui sont mécontents de 10 à 12 jours de travail par mois « sont libres de partir » ajoute-t-il.

Les rumeurs à l’usine de Mishor Adumim sont qu’elle va fermer bientôt, toute la production allant à l’intérieur d’Israël. Malgré les conditions, M. et les autres « espèrent que les travailleurs pourront se déplacer et continuer à y travailler ». Comme l’expliqua M., « Tous les travailleurs n’ont pas d’autre choix que de travailler dans l’usine de la colonie, nous voulons nourrir nos enfants et il n’y a pas de possibilité de travail dans [les zones de] l’Autorité Palestinienne ».

Une couverture pour l’illégalité

Une mise à jour récemment publiée par Who Profits sur les installations de SodaStream a montré que le site de Alon Tavor sert de couverture pour l’usine illégale de la colonie. Who Profits cite un article de la publication d’affaires israélienne Globes, dans lequel Birnbaum déclarait que les produits vendus en Suède, Suisse, Norvège, Finlande et France sont manufacturés à Alon Tavor à cause de « la sensibilité de ces pays aux produits israéliens manufacturés au-delà de la ligne verte ». Mais en examinant en détail les unités de production répertoriées dans le rapport annuel de SodaStream pour 2012, Who Profits à démontré qu’il ne serait pas possible de produire une machine SodaStream complète à Alon Tavor.

La compagnie a aussi gagné une subvention d’État de 25 millions de shekels (7 millions $) pour la construction d’une nouvelle usine dans la zone industrielle Idan du Néguev (Naqab) capable de contenir toute la production de la compagnie sous un seul toit (“SodaStream wins NIS 25 m grant for Negev plant,” Globes, 4 April 2013).

Birnbaum a menacé récemment de déplacer la production sur un autre continent si les subsides du gouvernement israélien, telles que les subventions et les réductions de taxes, était diminués. D’après le rapport annuel 2012 de SodaStream, son taux réel de taxes était 1,7 % pour 2012 et 10,9 % pour 2011. Le taux d’imposition des sociétés est 25 % en Israël (“SodaStream CEO: More Israel investment depends on incentives,” Globes, 24 April 2013).

Tandis que Birnbaum, redevable à ses investisseurs du Nasdaq, se concentre sur les résultats financiers, son usine coloniale fait partie d’un système décrit par le rapport de la Mission d’enquête du Conseil des droits de l’homme de l’ONU sur les colonies israéliennes comme exerçant « un lourd tribut sur les droits des Palestiniens ». Ce déni systématique des droits élémentaires souligné dans ce rapport crée les conditions qui forcent les Palestiniens à se tourner vers les compagnies des colonies pour trouver des emplois. Le rapport maintient que « l’incapacité pour l’économie palestinienne de se développer et d’offrir des possibilités, le taux de chômage élevé, les salaires en chute sur le marché du travail palestinien, l’inflation et la pauvreté croissante sont des facteurs qui poussent les Palestiniens à chercher des emplois dans les colonies et en Israël ».

Dans un e-mail à The Electronic Intifada, un porte-parole de Who Profits a déclaré que les compagnies coloniales israéliennes exploitent les travailleurs palestiniens tout en affirmant que le travail leur bénéficie. « Une affaire qui opère illégitimement ne peut pas exiger la légitimité de la part des travailleurs et à leurs dépens », a dit le porte-parole. Who Profits ajoutait que dans d’autres cas d’emplois exploiteurs, « la société civile a refusé que ces employeurs soient des représentants légitimes de leurs travailleurs » et soutenu par contre que « les grandes entreprises et les puissances coloniales doivent être tenues responsables de leurs actions ».

En 1996, SodaStream a pris la décision de localiser ses unités de production dans une zone sous occupation militaire et les a maintenues là depuis. Quand elle a été confrontée à cette claire violation du droit international, la compagnie a choisi non pas de l’adresser mais a plutôt cherché à utiliser ses travailleurs palestiniens pour dévier l’attention de son rôle dans le maintien du système colonial injuste d’Israël.

Ce que nous pouvons faire, comme personnes de conscience réellement préoccupées pour les travailleurs palestiniens, c’est de monter des campagnes boycott, désinvestissement et sanctions contre les compagnies comme SodaStream, pour assurer que nous pourrons bientôt célébrer un vrai multiculturalisme, avec des garanties de droits égaux pour tous.

Stéphanie Westbrook est une citoyenne étasunienne basée à Rome, Italie. Ses articles ont été publiés par Common Dreams, Counterpunch, The Electronic Intifada, In These Times et Z Magazine. Suivez-la sur Twitter @stephinrome.

Source : SodaStream « treats us like slaves, » says Palestinian factory worker : http://electronicintifada.net/content/sodastream-treats-us-slaves-says-palestinian-factory-worker/12441

Traduction: JPB pour BDS France