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19/03/14

La guerre d’Israël contre les universités aux États -Unis

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Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu intervenant à la conférence de l’AIPAC le 4 mars, à Washington D.C.
(AP/Carolyn Kaster)

 

 

 

L’interdiction du groupe Étudiants pour la Justice en Palestine (SJP pour Students for Justice in Palestine) à l’université Northeastern de Boston le 7 mars, assortie d’une menace par l’université de mesures disciplinaires contre certains de ses membres, s’inscrit dans ces sanctions qui frappent de nombreux groupes d’étudiants qui défendent les droits des Palestiniens dans tout le pays. Les attaques, et les formes de sanctions similaires inquiétantes, semblent entrer dans un effort commun du gouvernement israélien et du lobby pro-Israël afin de mettre sur liste noire tous les groupes d’étudiants qui remettent en cause la version officielle israélienne.

 

Northeaster a interdit le SJP après la publication par le groupe, sur les copies du campus, d’avis d’expulsion qui sont méthodiquement remis aux maisons palestiniennes destinées à être démolies par les Israéliens. L’avis de suspension de l’université indique que si le SJP dépose un recours pour sa réintégration pour l’an prochain, « aucun membre actuel du bureau exécutif d’Étudiants pour la Justice en Palestine ne pourra siéger au conseil d’administration d’ouverture de la nouvelle organisation » et que les représentants de l’organisation devront suivre des « formations » autorisées par l’université.

 

En 2011, en Californie, dix étudiants qui avaient, à l’université d’Irvine, perturbé l’intervention de Michael Oren, alors ambassadeur israélien aux États-Unis, ont été déclarés coupables, placés en probation informelle et condamnés à des travaux communautaires. Oren, citoyen israélien qui, depuis, a été recruté par CNN comme collaborateur, a demandé au Congrès d’inscrire sur liste noire toutes celles et ceux qui participent à la campagne de boycotts, désinvestissement et sanctions (BDS) contre Israël, et d’engager des poursuites contre celles et ceux qui manifestent dès qu’apparaissent des officiels israéliens. Quelques militants de l’université Florida Atlantic ont été exclus de leurs responsabilités à la direction des étudiants après être sortis en signe de protestation lors de l’allocution d’un officier de l’armée israélienne, et ils ont reçu l’ordre par la direction de l’université de participer à des séminaires de rééducation élaborés par la Ligue anti-diffamation (ADL pour Anti-Defamation League). Le groupe Étudiants pour la Justice en Palestine/Colombie (CSJP) a été brusquement suspendu au printemps 2011, et il a reçu l’interdiction de réserver des salles et d’organiser des initiatives sur le campus. L’administration de l’université, avant cette interdiction, avait l’habitude d’avertir le groupe Hillel (organisation juive sur les campus – ndt) du campus avant toute initiative du CSJP. La suspension a finalement été levée, après protestation des avocats du CSJP.

 

Max Geller, étudiant en droit et membre du SJP à Northeastern, que j’ai réussi à avoir au téléphone à Boston, a accusé l’université de céder à « des pressions extérieures », notamment celles d’un ancien élève, Robert Shillman, aujourd’hui PDG de la Cognex Corporation, et de l’investisseur milliardaire Seth Klarman, tous deux partisans de la droite israélienne.

 

« Interdire à des étudiants de tenir des fonctions de direction, de même que des groupes d’étudiants, simplement parce qu’ils sont engagés dans une manifestation politique pacifique, est contraire à la mission de l’université qui est d’instruire les étudiants, » a-t-il déclaré. « Cela retire toute la valeur pédagogique qu’un processus disciplinaire pourrait rechercher ».

 

« Dans la dernière année, » a poursuivi Geller, « j’ai reçu des menaces de mort, j’ai été publiquement et injustement calomnié, et menacé de mesures disciplinaires. Ceci pour m’être lancé à intervenir sur la question qui m’inquiète profondément, en tant que juif comme en tant qu’américain, d’une perspective qui me fait peur et m’angoisse. »

 

La réaction de force d’Israël contre ces organisations de campus est symptomatique de son isolement qui va croissant, et de sa préoccupation devant un soutien américain qui s’affaiblit. L’occupation et les confiscations de la terre palestinienne, depuis des décennies, ainsi que les agressions militaires massives contre une population sans défense dans la bande de Gaza, qui ont fait des centaines de morts, en plus d’une malnutrition qui va s’empirant chez les enfants palestiniens et d’une pauvreté qui s’aggrave, tout cela a écarté des sympathisants traditionnels d’Israël, et notamment de nombreux jeunes Américains de confession juive. Israël, dans le même temps, est devenu un paria dans la communauté mondiale. S’il devait perdre le soutien états-unien, qu’il achète pour une grande part avec les contributions d’une campagne politique passant par des organisations comme l’AIPAC (Comité américain pour les affaires publiques israéliennes), Israël irait à vau-l’eau. Il y a de plus en plus de banques et autres sociétés, spécialement dans l’Union européenne, qui rejoignent le mouvement de boycott, qui refusent de commercer avec les entreprises israéliennes dans les territoires occupés. Le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu, s’est exprimé devant l’AIPAC le 4 mars, et de façon étonnante, il a consacré une grande partie de son discours à attaquer le mouvement BDS naissant, et dont l’acronyme selon lui signifie, « Bigotry, Dishonesty and Shame » (fanatisme, malhonnêteté et honte). Il a demandé à ce que les sympathisants de BDS « soient traités exactement comme nous traitons n’importe quel antisémite et fanatique ». Il a mis en garde car des gens « naïfs et ignorants » sont recrutés comme « des compagnons de routes crédules » dans une campagne antisémite.

 

Les dirigeants israéliens tentent aussi apparemment d’infiltrer le mouvement BDS et se servent de subterfuges pour le relier à l’extrémisme islamique, selon le Times de Londres. Le gouvernement israélien fait pression dans le sens de projets de loi de censure, antidémocratiques, dans les instances législatives des États de New York, du Maryland et de l’Illinois, lois qui infligeraient des sanctions financières aux organisations universitaires qui boycottent les institutions israéliennes. Pendant ce temps, les États-Unis et d’autres, avec enthousiasme, imposent des sanctions à la Russie pour une occupation bien moins draconienne que le long mépris d’Israël pour le droit international.

 

Les classes d’endoctrinement de l’ADL pour les militants universitaires ne sont, d’après ceux qui ont été tenus de les suivre, que des tentatives pitoyables d’assimiler toute critique d’Israël à de l’antisémitisme.

 

« Moi et deux autres membres du SJP avons été contraints de participer aux cours de « formation à la diversité » sous le parrainage de l’ADL, à défaut nous aurions été accusés de violer les conditions de notre probation et de ce fait, nous aurions été suspendus et/ou expulsés, » a dit Nadine Aly, étudiante militante de Florida Atlantique qui, avec d’autres militants, a quitté, en signe de protestation, une conférence donnée à l’université par un officier de l’armée israélienne, le colonel Bentzi Gruber, lequel officier a contribué à l’élaboration des règles dans l’engagement pour l’opération Plomb durci, cette agression atroce contre Gaza fin 2008 début 2009. J’ai pu la contacter par téléphone sur le campus de Florida. « L’idée même que l’administration insinue que c’est raciste de critiquer la politique israélienne est ridicule. Nous avons été mis en « probation pour une durée indéterminée« , avec l’interdiction de remplir des fonctions de direction dans toutes les organisations d’étudiants reconnues, notamment au conseil des étudiants, à l’université, jusqu’à l’obtention de notre diplôme. J’ai été exclue de ma fonction de présidente du SJP, de même que de celle de sénatrice étudiant, et l’ancienne vice-présidente du SJP a perdu son poste de représentante de la Maison des étudiants. C’est une honte que cette université et beaucoup d’autres cèdent à la pression du lobby sioniste et de riches donateurs sionistes, quand elles devraient protéger les droits de leurs étudiants. »

 

La persécution d’universitaires, tels que Joseph Massad et Norman Finkelstein, qui remettent en cause la version israélienne officielle a longtemps été une caractéristique de l’intervention israélienne dans la vie universitaire américaine. Et l’empressement des présidents d’université à dénoncer l’Association des études américaines qui a appelé à un boycott universitaire d’Israël est une fenêtre ouverte sur la faim insatiable de l’argent qui semble mener la politique universitaire. L’effort actuel pour arrêter les groupes d’étudiants, cependant, porte la censure et les ingérences israéliennes traditionnelles à un autre niveau. Israël cherche maintenant à museler ouvertement la liberté d’expression sur les campus des facultés américaines – toutes celles où des groupes d’étudiants se sont résolument engagés dans des manifestations non violentes –, et il s’est assuré le concours d’élites libérales décadentes et d’administrateurs de facultés, comme une police de la pensée.

 

L’incapacité des universitaires à défendre le droit de ces groupes d’étudiants à exprimer des opinions dissidentes et à s’engager dans un militantisme politique montre à quel point la plupart des universitaires aujourd’hui sont devenus hors sujet. Où sont dans cette lutte les professeurs de morale, de religion et de philosophie rappelant aux étudiants le droit de tous à une vie digne, exempte d’oppression ? Où sont les professeurs d’études du Moyen-Orient expliquant les conséquences historiques de la confiscation violente par Israël de la terre palestinienne ? Où sont les professeurs de journalisme défendant le droit des dissidents et des victimes à une audience équitable dans la presse ? Où sont les professeurs d’études sur l’homosexualité et le sexisme, d’études afro-américaines, sur les Amérindiens ou les Chicanos, agissant pour protéger la voix et la dignité des marginalisés et des opprimés ?

 

Cette agression ne s’arrêtera pas à des groupes comme les Étudiants pour la Justice en Palestine. Le refus d’entendre les cris du peuple palestinien, surtout de ces un million et demi de Palestiniens – 60 % étant des enfants – qui se trouvent piégés par l’armée israélienne dans Gaza, ce refus s’intègre dans une campagne plus vaste d’agents de la droite, tels Lynne Cheney et des milliardaires comme les frères Koch, pour faire disparaître tous les programmes et disciplines universitaires qui donnent la parole aux marginalisés, spécialement à ceux qui ne sont ni privilégiés ni blancs. Les Latinos, les Afro-américains, les féministes, ceux qui étudient sur l’homosexualité et le sexisme sont soumis aussi à cette pression. En application d’une loi signée par la gouverneure républicaine Jan Brewer, les livres des grands auteurs chicanos ont été interdits dans les écoles publiques à Tucson et ailleurs en Arizona, au motif que de telles études ethniques encourageaient « un ressentiment envers une race ou un peuple ». C’est le même langage que celui utilisé par l’ambassadeur Oren pour justifier son appel à des poursuites pénales contre les militants BDS – ceux qu’ils prétendent être des « fanatiques ». Le néo-conservatisme qui enserre Israël a sa contrepartie toxique au sein de la culture américaine. Et si d’autres groupes marginalisés dans les universités gardent le silence pendant que les militants de la solidarité avec la Palestine sont persécutés sur les campus, ils trouveront moins d’alliés lorsque ces forces de droite s’occuperont d’eux. Et elles vont s’en occuper.

 

Celles et ceux d’entre nous qui dénonçons la souffrance provoquée par Israël et ses crimes de guerre contre les Palestiniens, et qui soutenons le mouvement BDS, sommes accoutumés à ces campagnes diffamatoires scabreuses israélienne. J’ai été à plusieurs reprises qualifié d’antisémite par le lobby israélien, notamment pour mon livre « La guerre est une force qui nous donne un sens ». Certaines de ces voix dissidentes, comme celle de Max Blumenthal qui a écrit « Goliath : peur et répugnance dans le grand Israël« , l’un des meilleurs témoignages sur l’Israël contemporain, sont des voix juives que ne semblent pas perturber les propagandistes israéliens de droite qui voient dans toute divergence avec la ligne gouvernementale israélienne une forme d’hérésie religieuse.

 

« Je suis en tournée pour discuter de mon livre, « Goliath », depuis octobre 2013 » m’a dit Blumenthal, avec qui je me suis entretenu au téléphone. « Et à plusieurs occasions, des groupes lobbyistes et des activistes favorables à Israël ont tenté de faire pression sur les organisations pour qu’elles annulent mes rencontres avant qu’elles n’aient lieu. J’ai été diffamé, traité d’antisémite, par des étudiants adolescents pro-Israël, par d’éminents chroniqueurs de magazine, et même par Alan Dershowitz, et ma famille a été prise à partie dans la presse de droite simplement parce qu’elle avait organisé une fête du livre pour moi. Tout le mal absurde que se donnent les activistes pro-Israël pour empêcher mon journalisme et mes analyses de toucher un large public illustre parfaitement leur épuisement et leur pauvreté morale. Tout ce qu’ils y ont laissé, c’est beaucoup d’argent pour acheter des politiciens, et une volonté sans limite pour défendre le seul État d’apartheid nucléarisé au Moyen-Orient. Comme de jeunes Arabes et musulmans affirment leur présence sur les campus dans tout le pays et que les Américains juifs sont écoeurés de l’Israël de Netanyahu, nous pouvons voir que les forces pro-Israël mènent une lutte de repli. La question n’est pas de savoir si elles la gagneront ou la perdront, mais combien de dommages elles peuvent faire encore à la liberté d’expression avant qu’on les amène à rendre des comptes devant la justice. »

 

« Ce serait réconfortant si des intellectuels libéraux de premier plan approuvaient toutes mes conclusions, ou approuvaient la légitimité de BDS, » a poursuivi Blumenthal. « Mais la seule attente raisonnable que nous pouvons avoir venant d’eux, c’est qu’ils élèvent la voix pour défendre celles et ceux dont les droits à la liberté de s’exprimer et de s’organiser sont étouffés par des forces puissantes. Malheureusement, quand ces forces se déploient pour la défense d’Israël, beaucoup d’intellectuels libéraux gardent le silence ou, comme dans le cas de Michael Kazin, Eric Alterman, Cary Nelsont et de la fine fleur des présidents d’université, ils collaborent activement avec d’autres élites déterminées à étouffer le militantisme de solidarité avec la Palestine par tous les moyens antidémocratiques. »

 

Les chapitres Hillel, tristement, fonctionnent souvent comme de simples avant-postes du gouvernement israélien et de l’AIPAC. Cela est vrai à Northeastern aussi bien que dans des facultés comme la faculté Barnard et celle de Columbia. Et les présidents d’université comme Debora Spar, de Barnard, ne voient aucun mal à accepter des séjours en Israël, pendant que les étudiants palestiniens doivent risquer l’emprisonnement, et même la mort, pour venir étudier aux États-Unis. Le lancement de campagnes de diffamation sur tous les campus par des maisons soi-disant religieuses est un sacrilège pour la religion juive. Dans un séminaire, j’ai suffisamment lu les grands prophètes israélites, dont la première préoccupation allait vers l’opprimé et le pauvre, pour savoir qu’on ne les trouverait pas aujourd’hui dans les centres Hillel, mais plutôt à manifester avec les militants du SJP.

 

Les centres de campus Hillel, avec des budgets somptueux et des immeubles rutilants, sur des campus souvent situés dans des zones de délabrement urbain, proposent des évènements, conférences et programmes pour promouvoir la politique officielle israélienne. Ils organisent des voyages gratuits en Israël pour les étudiants juifs dans le cadre du programme « Taglit Birthright », ils fonctionnent comme une agence de voyages du gouvernement israélien. Pendant que les étudiants juifs, souvent sans liens familiaux avec Israël, sont escortés dans ces séjours de propagande bien orchestrée en Israël, des centaines de milliers de Palestiniens qui restent confinés dans des camps de réfugiés sordides ne peuvent rentrer dans leur foyer, alors que leurs familles y ont vécu pendant des siècles, sur ce qui est maintenant une terre israélienne.

 

Pendant des décennies, Israël a pu encadrer le débat sur les Palestiniens. Mais son contrôle sur le récit touche à sa fin. Israël perd du terrain, il va s’en prendre méchamment et sans raison à tous les diseurs de vérité, même si ce sont des étudiants américains, et même et surtout s’ils sont juifs. Ce jour viendra, et il viendra plus tôt que ne le croient Israël et ses laquais vendus, quand tout l’édifice s’écroulera, quand même les étudiants de Hillel n’auront plus envie de défendre la dépossession continuelle et les assassinats aveugles des Palestiniens. Israël, en faisant taire impitoyablement les autres, risque maintenant lui-même de se taire.

 

Chris Hedges donnera une conférence sous le parrainage du Forum économique politique à l’université Northeastern, le 25 mars à 18 h, à West Village F, 20, 460 Parker St. à Boston.

 

Christopher Lynn Hedges (né le 18 septembre 1956 à Saint-Johnsbury, au Vermont) est un journaliste et auteur américain. Ancien correspondant de guerre, il est reconnu pour son analyse de la politique américaine ainsi que de celle du Moyen-Orient1. Il a publié plusieurs livres, dont le plus connu est War Is a Force That Gives Us Meaning (2002).

 

Truthdig : http://www.truthdig.com/report/item/israels_war_on_american_universities_20140316

Traduction : JPP pour l’AURDIP, pour BDS France