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19/10/10

Le boycott des produits israéliens est-il un acte criminel ?

Plus personne ne peut dire, à l’heure actuelle, qu’Israël respecte le droit international ou les droits humains. Pourtant, près de 80 plaintes ont été déposées contre des militants et militantes français issus de la société civile, de mouvements associatifs, de syndicats, et de partis politiques, pour avoir appelé à boycotter les produits en provenance d’Israël.

Ces plaintes font suite à la circulaire de la ministre Michèle Alliot-Marie qui a entretenu la confusion entre « produits casher » et « produits israéliens », en appelant les tribunaux à la vigilance contre des « actes de discrimination raciale » !

La criminalisation de la campagne Boycott-Désinvestissement-Sanctions (BDS) contre Israël ne nous surprend pas. Elle montre simplement que le monde d’aujourd’hui marche à l » envers :

  • Criminel est l’acte d’appeler à boycotter des produits issus des colonies israéliennes.
  • Normal et conventionnel est celui de consommer passivement les produits de l’entreprise Agrexco, débarqués aujourd’hui à Marseille et qu’on voudrait installer à Sète demain, et dont les fruits et légumes viennent directement des colonies, en violation des résolutions onusiennes condamnant l’occupation des territoires palestiniens depuis 1967.

Aucune règle de traçabilité ne permet, en ce moment, de distinguer les produits provenant directement d » Israël et ceux des colonies. Est-il normal d’acheter des produits qui proviennent de terres occupées en infraction à la loi internationale ?

Devons-nous, comme nous le demandent le Bureau national de vigilance contre l » antisémitisme (BNVCA) et son président Sammy Ghozlan − à l’origine de la majorité de ces plaintes contre le mouvement BDS −, d’être des consommateurs aveugles, muets, sourds à la loi… et heureux.

Quant à la volonté d’assimiler le boycott à un acte « antisémite », et la tentative de manipuler la mémoire du génocide nazi des juifs d’Europe, elle n’est pas seulement scandaleuse, mais absurde lorsqu’on va jusqu’à porter plainte contre Stéphane Hessel, ancien diplomate français, résistant, juif et rescapé du camp de Buchenwald, pour son soutien public à la campagne de boycott économique, culturel et universitaire des produits en provenance d » Israël et des institutions israéliennes.

Ceux qui, en France, soutiennent inconditionnellement la politique israélienne devraient regarder du côté d’Israël : du côté d’Omer Shoshan, jeune soldat israélien de 19 ans récemment emprisonné pour avoir refusé de servir dans une armée d’occupation ; ou de celui des 150 Israéliens, intellectuels, artistes et hommes de théâtre, qui ont appelé fin août au refus de se produire dans les colonies israéliennes en Cisjordanie.

Le boycott, une longue histoire de révoltes légitimes

Le boycott n’a rien de nouveau, d’exceptionnel, ou de révoltant, il est au contraire une longue histoire de révoltes légitimes.

  • Révoltés par l’apartheid en Afrique du Sud, les boycotteurs du monde entier dans les années 80 ;
  • révoltés par la discrimination des Noirs aux États-Unis, les boycotteurs des bus de Montgomery en 1955 ;
  • révoltés par la colonisation de la Grande-Bretagne, les boycotteurs indiens des produits britanniques des années 30 ;
  • révoltés aussi, bien en amont, ceux qui, quelques années avant la Guerre de sécession américaine, appelèrent à boycotter les produits d’entreprises américaines pratiquant l’esclavagisme.

Face à l’attaque par l’armée israélienne en mai, dans les eaux internationales, de la flottille humanitaire pour Gaza, et le meurtre de neuf militants turcs qui s’y trouvaient ; face à l’utilisation d’armes non-conventionnelles, comme les bombes au phosphore ayant largement arrosé la Bande de Gaza il y a un an et demi ; face aux bulldozers israéliens qui, à l’heure actuelle, continuent de judaïser la partie palestinienne de Jérusalem pour y construire 1 500 nouvelles unités d’habitations destinées aux colons ; face aux violations du droit international par Israël sous toutes ses formes… la campagne internationale de BDS contre l’impunité d’Israël dont nous nous réclamons, s’inscrit également dans cette longue histoire.

Lancée en juillet 2005 à l’appel de la société civile palestinienne, la campagne de Boycott contre la politique israélienne est aujourd’hui internationale. Elle est relayée par les syndicats britanniques et irlandais, tout comme par les anticolonialistes israéliens.

Aux États-Unis, l’université de Harvard a retiré tous ses placements israéliens, pour une valeur de 40 millions de dollars, et celle de Johannesburg, en Afrique du Sud, menace de couper tous ses liens économiques et académiques avec l’université Ben Gourion.

Le gouvernement des Pays-Bas vient d » annuler une tournée de maires israéliens, en raison de la présence de représentants des colonies d’Efrat et de Kyriat Arba. Prix Nobel de la paix et figure de la lutte contre l’apartheid en Afrique du Sud, l’archevêque Desmond Tutu déclarait encore récemment :

« Nous avons vaincu l’apartheid sans violence parce que la communauté internationale avait accepté de soutenir la campagne de désinvestissement en Afrique du Sud. Une campagne similaire peut apporter la paix au Moyen-Orient sans violence. »

Sammy Ghozlan et les tribunaux français l’attaqueraient-ils, lui-aussi, pour « incitation à la haine raciale » ?

La singulière criminalisation du boycott en France

La criminalisation des boycotteurs en France est un cas singulier, où certains pensent pouvoir briser un mouvement social, civil et anticolonial par la seule force des tribunaux.

On sourira sans doute un jour de ces valeurs inversées qui font de simples citoyens défendant les droits du peuple palestinien par la seule force du boycott et de la non-violence, des criminels, et d’Israël une victime offensée.

En attendant, restons sérieux et persévérants : nous avons le droit de boycotter Israël quand il ne respecte pas le droit international et refuse de prendre en compte les décisions adoptées par les Nations unies.

Ce boycott est légitime et nous allons continuer à le faire, à l’image d’une campagne internationale qui porte aujourd’hui ses fruits. Car si la politique coloniale d’un Etat surarmé doit aujourd’hui se cacher derrière les tribunaux français, c’est aussi que cette politique s’affaiblit moralement, et qu’elle devra bientôt s’incliner face au droit international.

Sonia Dayan-Herzbrun, professeure de sociologie (université Paris-Diderot), vice-présidente de l’Association des universitaires pour le respect du droit international en Palestine (Aurdip) ;  Annick Coupé, porte-parole de Solidaires ; Gustave Massiah, membre fondateur du Centre d’études et d’initiatives de solidarité internationale (Cedetim) ; Jean-Marie Muller, membre fondateur du Mouvement pour une alternative non-violente (MAN).