Olivia Zémor est injustement poursuivie devant la Cour d’appel de Lyon pour avoir, dans le cadre de sa liberté d’expression, dénoncé l’implication de l’entreprise pharmaceutique TEVA dans la politique israélienne d’apartheid. Face à cette situation ubuesque, Olivia Zémor mérite notre soutien et doit être relaxée en appel.
Sur le site internet www.europalestine.com il est écrit, s’agissant de l’entreprise pharmaceutique TEVA, dont le siège est implanté à Tel Aviv, en Israël :
« TEVA, on n’en veut pas », car « une partie de ses bénéfices renfloue l’armée israélienne ».
Pour ces phrases, Olivia ZEMOR, éditrice du site www.europalestine.com, fait l’objet depuis 2016 d’un véritable harcèlement judiciaire de la part de TEVA.
L’entreprise pharmaceutique a réussi à obtenir la désignation d’un juge d’instruction, la réalisation d’une longue information judiciaire et la tenue d’un procès devant le tribunal correctionnel de Lyon.
Heureusement, les juges du siège, indépendants, n’ont pas tremblé et ont rendu, le 18 mai 2021, un jugement relaxant Olivia ZEMOR au nom de la liberté d’expression
Une liberté qui comprend celle d’appeler au boycott des produits israéliens, comme l’a dit la Cour européenne des droits de l’homme le 11 juin 2020 dans un arrêt condamnant la France pour les restrictions imposées à ce droit.
Voilà cependant que TEVA et le ministère public ont fait appel de la décision et qu’un nouveau procès se prépare le 27 janvier prochain devant la Cour d’appel de Lyon.
TEVA fait l’objet depuis plusieurs années d’une campagne militante en France et dans le monde, visant à ce que la société cesse toute forme de lien avec la politique israélienne dans les territoires palestiniens occupés. Dans une démarche de consommation responsable et soucieuse du respect des droits de l’homme, les patients et les professions de santé sont invités à ne pas acheter les médicaments de cette entreprise.
TEVA, en effet, n’est pas une entreprise israélienne comme les autres.
Premièrement, elle est un acteur majeur de la politique israélienne du médicament qui a mis en place un libre accès pour les entreprises pharmaceutiques israéliennes au marché palestinien sans réciprocité. Cette même politique empêche aux entreprises pharmaceutiques palestiniennes de produire leurs propres médicaments génériques ou d’en acheter des moins chers ailleurs. Une différence de traitement qui a été dénoncée par la Banque mondiale comme constituant un des principaux obstacles au développement de l’économie palestinienne.
Deuxièmement, elle est un acteur majeur de la politique israélienne de santé qui aboutit en pratique à ce que les Israéliens bénéficient d’une prise en charge médicale complète et diversifiée, alors que les Palestiniens demeurent peu ou mal soignés. Et ce en grande partie du fait des restrictions mises par l’occupant israélien dans les territoires palestiniens à la liberté de mouvement des ambulances, à la formation du personnel médical, au bon fonctionnement des hôpitaux, à leur approvisionnement en médicament, en matériel ou en prothèse. La situation à Gaza, sous blocus israélien depuis 2007, est à cet égard particulièrement dramatique et inhumaine. La situation du secteur de la santé en Cisjordanie, sans être aussi mauvaise, n’en demeure pas moins marquée du sceau de la discrimination, seuls les colons ayant accès à la gamme de soins israéliens. L’apartheid israélien, documenté par les rapports spéciaux des Nations Unies sur les droits de l’homme, Human Rights Watch et des ONG palestiniennes et israéliennes, est aussi un apartheid médical.
Troisièmement, l’entreprise est connue pour approvisionner en médicaments les populations, les pharmacies et les dispensaires des colonies israéliennes, colonies illégales selon le droit international et dont la viabilité n’est possible qu’en raison de la complicité des opérateurs économiques israéliens. TEVA fournit également l’armée israélienne, pilier essentiel, aux côtés de l’administration et des colons, de la politique de spoliation des terres menée en Palestine.
Les raisons de critiquer cette entreprise et de boycotter ses produits ne manquent donc pas !
Le traitement réservé à Olivia Zémor est d’autant plus injuste que son combat politique contre les différentes formes de complicités de la colonisation et de l’occupation israélienne est parfaitement légitime sur le fond et répond à une véritable nécessité.
En effet, les autorités françaises se révèlent particulièrement attentistes sur le sujet.
La France, sur invitation de l’Union européenne, s’est dotée en 2016 d’une règlementation imposant l’étiquetage des produits importés qui sont issus des colonies israéliennes de Jérusalem-Est, de Cisjordanie ou du Golan. Une législation validée en 2019 par la Cour de justice de l’Union européenne, au nom du respect du droit international et de l’information du consommateur.
Or, il est de notoriété publique que nombreux produits (des fruits, des dattes, des légumes, du vin, des cosmétiques et autres biens de consommation courants) fabriqués dans les colonies sont commercialisés en France et présentés dans leur étiquetage comme israéliens. Et ce en contravention évidente avec la règlementation.
Pourtant, quasiment aucun contrôle n’a été conduit par les administrations (DGCCRF et Douane) dans les magasins ou chez les importateurs et à ce jour aucune poursuite pénale n’a été engagée contre les contrevenants.
Conséquences : les consommateurs français, notamment ceux soucieux de consommer « éthique », ne sont pas informés de l’origine des produits qu’ils achètent et le marché français contribue au développement des acteurs économiques israéliens installés dans les colonies.
Une situation ubuesque, alors que dans le même temps le ministère français des affaires étrangères condamne la colonisation israélienne et rappelle qu’il s’agit d’une violation du droit international et un obstacle à la paix.
Pour l’ensemble de ces raisons, Olivia Zémor mérite notre soutien et doit être relaxée en appel.
Ghislain Poissonnier, magistrat et Patrick Zahnd, professeur de droit international humanitaire à Sciences Po Paris.