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26/09/25

Un éclairage BDS sur Nadav Lapid

Il faut sauver le soldat Ryan

Tout d’abord, il faut rappeler que le boycott culturel initié et demandé par la société civile palestinienne ne consiste pas en une censure basée sur le contenu des œuvres. Il s’intéresse aux moyens de production et de diffusion de ces œuvres. Ses lignes directrices sont claires sur ce point.

Certes le PACBI (Campagne Palestinienne pour le Boycott Académique et Culturel d’Israël), composante du BDS (Boycott, Désinvestissement et Sanctions) ne reproche pas aux cinéastes israélien·nes, et donc pas à Nadav Lapid, de financer leurs films  avec des fonds israéliens. Cependant, ce cinéaste s’affirme en exil politique, et ses œuvres sont très largement financées par des fonds occidentaux. Sa volonté de recevoir des financements israéliens n’entre-t-elle pas alors en contradiction avec sa posture politique ?

Notons que la plupart des fonds européens n’accordent de financement aux cinéastes israéliens que s’il y a un financement israélien dans le budget du film, ce qui ne fait que révéler, s’il en était besoin, les liens des productions européennes avec Israël, en un moment où l’on attendrait une véritable révolution copernicienne dans les relations avec cet État… De nombreux·ses artistes dans le monde ont d’ailleurs commencé à exiger une rupture de ces liens.

Nadav Lapid devrait assumer jusqu’au bout sa posture d’exilé et ne pas demander d’argent à un pays où il ne vit plus depuis plusieurs années. Plus grave et entrant clairement dans le cadre du boycott, son film était candidat aux Ophirs du cinéma israélien  (dont le lauréat représente automatiquement Israël aux Oscars). De même, il a été présenté dans le cadre du festival du film israélien à Paris comme film israélien, et dans ces deux cas, il représente officiellement l’État d’Israël ; en d’autres termes Nadav Lapid ne renonce pas aux avantages financiers et promotionnels offerts par les institutions génocidaires israéliennes, qui récupèrent en contrepartie, l’image d’une société diverse critique et démocratique. Rappelons le sondage israélien : 73% des Israélien·nes juif·ves considèrent que Gaza devrait être vidée de tous ses habitants, 3% s’y opposent, c’est tout dire sur cette imposture aux allures de normalité.

Nadav Lapid dit lui-même qu’il ne s’intéresse qu’à sa propre société, ce qui pourrait être légitime en soi, mais au regard de ce que sa société est en train de faire, ne devrait-il pas s’intéresser à tou·tes les Palestinien·nes réduit·es au silence dans tous les médias européens et français et leur faire de la place ? De fait, il n’accorde aucune place ni dans son film, ni dans son discours, ni sur les plateaux audiovisuels aux victimes de sa société. Le miroir qu’il veut  tendre à sa société, dit-il, afin qu’elle s’y regarde, n’est qu’un leurre narcissique si on n’y trouve ni Palestinien·nes ni occupation ni colonisation.

Lorsque Nadav Lapid entend dire que les cinéastes palestinien·nes du festival de cinéma palestinien ont retiré leurs œuvres de la Fête de l’Humanité, en raison de la programmation de son propre film par la fête, ne devrait-il pas retirer son film et laisser la place aux sans voix ?
Insupportable encore, le pont d’or que font les médias français au cinéaste et à son film, complaisants et empressés, presque  soulagés : on a enfin trouvé un bon Israélien pour sauver le soldat Ryan… tout en éliminant soigneusement et systématiquement des ondes les nombreux Israélien·nes réellement en opposition, et en lutte, et surtout tou·tes les Palestinien·nes privé·es d’expression sur leur sort. En ce sens, Nadav Lapid, prétendument cinéaste avant-gardiste, est fondamentalement conformiste : il répond et se conforme à une demande occidentale profonde de normalisation d’Israël en temps de génocide.