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26/12/13

Le succès d’une campagne internationale de boycottage inquiète Israël

Benyamin Nétanyahou, à Jérusalem, le 22 décembre.

Laurent Zecchini, Le Monde, mardi 24 décembre 2013

La dis­pa­rition récente de Nelson Mandela a contribué à donner un sur­croît de noto­riété au vote de l’Association des études amé­ri­caines (ASA) intervenu lundi 16 décembre : d’un seul coup, les mili­tants de la cam­pagne BDS (boy­cottage, dés­in­ves­tis­sement et sanc­tions), qui s’efforcent depuis 2005 d’entraîner une mobi­li­sation inter­na­tionale contre la poli­tique d’Israël envers les Pales­ti­niens, se sont mis à croire au succès de leur stratégie.

S’il est peu réa­liste de com­parer ce mou­vement à la lutte vic­to­rieuse des mili­tants anti-apartheid contre le régime sud-africain à la fin des années 1980, tout nouveau succès de la cam­pagne BDS–à plus forte raison s’il sur­vient aux Etats-Unis–a ten­dance à accentuer l’isolement du gou­ver­nement israélien.

La décision prise par l’ASA, qui regroupe 5 000 pro­fes­seurs amé­ri­cains, de boy­cotter les uni­ver­sités israé­liennes, consi­dérées comme soli­daires de la poli­tique d’occupation des ter­ri­toires pales­ti­niens, a déclenché une vague de réac­tions dans le monde uni­ver­si­taire amé­ricain et en Israël.

EFFET « BOULE-DE-NEIGE »

L’ASA n’est pas la plus impor­tante des asso­cia­tions aca­dé­miques amé­ri­caines, mais elle est la plus ancienne. Surtout, elle est la pre­mière à rejoindre un mou­vement inter­na­tional de boy­cottage de l’Etat juif qui, jusque-là, n’avait enre­gistré des succès limités qu’en Europe, en par­ti­culier dans cer­tains pays scan­di­naves, aux Pays-Bas et au Royaume-Uni. L’ASA a été imitée par une autre asso­ciation amé­ri­caine, la NAISA, spé­cia­lisée dans les études indiennes.

Cer­tains mili­tants de la cam­pagne BDS veulent y voir le début d’un effet « boule-de-neige ». Ils sou­lignent qu’en janvier, la puis­sante Asso­ciation des langues modernes (MLA), qui regroupe 30 000 membres, a prévu de consacrer sa convention de Chicago à la question du boy­cottage aca­dé­mique d’Israël. Dans un entretien au Monde, le Pales­tinien Omar Bar­ghouti, cofon­dateur de la cam­pagne BDS, parle d’une « pro­gression spec­ta­cu­laire ». « Israël, souligne-t-il, était considéré il n’y a pas si long­temps comme au-dessus de tout débat. Aujourd’hui, alors que sa valeur stra­té­gique est mise en question aux Etats-Unis, il perd de plus en plus la bataille des cœurs et des esprits. »

Omar Bar­ghouti se félicite que Benyamin Néta­nyahou, le premier ministre israélien, ait qua­lifié le mou­vement BDS de « menace stra­té­gique ». Il livre une longue liste d’associations qui ont rejoint ce mou­vement, et rap­pelle que le com­promis auquel ont récemment abouti Israël et l’Union euro­péenne (UE), s’agissant des « lignes direc­trices » de l’UE, signifie que cette der­nière n’acceptera pas que des colonies puissent pro­fiter des avan­tages finan­ciers de son pro­gramme scien­ti­fique Horizon 2020. Un tel résultat est encore hors de portée aux Etats-Unis, où Israël dispose de puis­sants sou­tiens dans l’administration et au Congrès.

POSITION DÉLICATE

Deux impor­tantes uni­ver­sités, Brandeis (Mas­sa­chu­setts) et Penn State Har­risburg (Penn­syl­vanie), ont réagi, mer­credi 18 décembre, en annonçant leur démission de l’ASA. Si le gou­ver­nement israélien n’a pas pris offi­ciel­lement position, plu­sieurs proches de M. Néta­nyahou n’ont pas hésité à com­parer le vote de l’ASA à d’autres ini­tia­tives his­to­riques à caractère antisémite.

L’ironie veut que Brandeis, pres­ti­gieuse uni­versité de Boston, a elle-même décidé de boy­cotter, fin novembre, l’université pales­ti­nienne Al-Quds, dont le campus d’Abu Dis jouxte Jéru­salem, en raison de la mani­fes­tation–jugée « fas­ci­sante »–orga­nisée par un groupe d’étudiants liés au Jihad islamique.

Les auto­rités pales­ti­niennes sont placées dans une position délicate. Après que Mahmoud Abbas, le pré­sident de l’Autorité pales­ti­nienne, a rappelé son oppo­sition à un boy­cottage géné­ralisé des pro­duits israé­liens, la direction pales­ti­nienne a rec­tifié, faisant savoir qu’elle n’est pas hostile au mou­vement BDS « conduit par la société civile » contre Israël.

SORTIR DE L’IMPASSE POLITIQUE

Le cas d’Al-Quds illustre ces contra­dic­tions. Si Brandeis, imitée par Syracuse Uni­versity (New York), a décidé de mettre fin à ses rela­tions avec l’université pales­ti­nienne, c’est parce que les étu­diants avaient mani­festé avec le bras levé, un geste rap­pelant le salut nazi, ou le salut mili­taire du Hez­bollah. Plu­sieurs pro­fes­seurs de Brandeis se sont déso­li­da­risés de la décision de leur direction, qui vise de facto le pré­sident de Al-Quds, l’écrivain de renom Sari Nus­seibeh, connu pour être un avocat de la coexis­tence avec Israël.

Son fils, Jamal Nus­seibeh, lui-même pro­fesseur de droit à Al-Quds, est convaincu que les Israé­liens, relayés par leurs sou­tiens aux Etats-Unis, ont utilisé le pré­texte de cette mani­fes­tation pour ternir l’image d’Al-Quds, une ins­ti­tution aca­dé­mique pales­ti­nienne qui les dérange. Les diplômes d’Al-Quds, explique M. Nus­seibeh au Monde, « sont reconnus dans le monde entier, sauf par Israël, et la police israé­lienne se livre à une répression quasi-quotidienne sur le campus ».

Le paradoxe est que Al-Quds et son pré­sident ont long­temps été hos­tiles à toute action de boy­cottage contre les uni­ver­sités israé­liennes, « parce que, explique son fils, nous pensons que le dia­logue aca­dé­mique est un principe intan­gible ». Jamal Nus­seibeh continue de penser que le mou­vement BDS appliqué à des uni­ver­sités n’est pas accep­table. En même temps, reconnaît-il, « je vis sous occu­pation mili­taire, ce qui signifie que je ne peux pas boy­cotter Israël ». La chose la plus impor­tante, conclut-il, est de sortir de l’impasse poli­tique : « Si le mou­vement BDS peut rap­peler au monde que ce que nous vivons est insup­por­table, alors c’est une bonne chose. »

Laurent Zecchini, Le Monde, 24 décembre 2013

Source: http://www.lemonde.fr/international/article/2013/12/24/le-succes-d-une-campagne-internationale-de-boycottage-inquiete-israel_4339461_3210.html