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16/03/16

SodaStream « usine de la paix » reste un mythe

Ryan Rodrick Beiler – The Electronic Intifada – 9 mars 2016

 

Au cours de ces dernières semaines, le directeur général de SodaStream, Daniel Birnbaum, n’at cessé de répéter que le mouvement de boycott, désinvestissement et sanctions (BDS) coûtait leurs emplois aux travailleurs palestiniens.

Mais après avoir été forcé de licencier 74 travailleurs dont les permis ont été refusés, il concentre aujourd’hui sa colère sur le gouvernement israélien.

Sous le titre, « C’est une bureaucratie israélienne idiote, pas le BDS, qui a fait licencier les Palestiniens », selon le Times of Israel, Birnbaum est « furieux » contre le gouvernement israélien.

Des articles de sources différentes laissent penser que le refus des permis n’a pas grand-chose à voir avec la « sécurité », mais qu’il résulte de la priorité que donne le gouvernement de droite actuel aux travailleurs israéliens.

« Apparemment, mes 74 employés ont été sacrifiés afin de prétendre que le BDS est mauvais pour les Palestiniens », a déclaré Birnbaum au The National.

« Mais je ne crois pas en un sacrifice humain. Je ne laisserai pas cet acte immoral incontesté », a-t-il ajouté. « Cet acte qui empêche les Palestiniens de venir à leur travail est un acte du gouvernement israélien, ce n’est pas un acte du BDS. Je suis honteux et j’espère encore que quelqu’un au gouvernement, en particulier le Premier ministre, se rendra compte de cette injustice et la réparera. Vous ne pouvez pas jeter les gens à la rue pour marquer un point politique ».

Les travailleurs ont besoin de nouveaux permis pour pouvoir continuer à travailler pour SodaStream depuis que la société a déplacé ses opérations de la colonie industrielle Mishor Adumim en Cisjordanie à une installation dans le désert du Naqab (Néguev) dans le sud de ce qui est actuellement Israël.

Ce déplacement est intervenu au lendemain de campagnes de boycott qui s’étaient intensifiées après une annonce de Super Bowl mettant en vedette la star d’Hollywood, Scarlett Johansson.

L’approbation par celle-ci des produits venant des colonies a finalement abouti à ce qu’elle démissionne de son rôle d’ambassadrice de bonne volonté de l’organisation anti-pauvreté Oxfam, qui, elle, maintient son opposition « à tout commerce venant des colonies israéliennes, qui sont illégales en vertu du droit international ».

 

Un régime de permis

Le choc de Birnbaum devant le refus arbitraire des permis pourrait apparaître comme naïf à tous ceux qui connaissent bien le régime de permis kafkaïen d’Israël. Après tout, les Palestiniens sont tenus de posséder un permis, aussi pour travailler dans les colonies.

Selon le COGAT, le bras bureaucratique du régime de l’occupation militaire d’Israël, 27 000 Palestiniens possèdent un permis pour travailler dans les colonies de Cisjordanie, pendant que 58 000 sont autorisés à travailler dans ce qui est Israël.

Pour ces derniers, cela signifie attendre tôt le matin dans des queues étouffantes aux check-points, où les travailleurs sont systématiquement soumis à un traitement inhumain.

Un employé de SodaStream a indiqué qu’il quittait son domicile en Cisjordanie à 4 h 30 du matin, et qu’il rentrait chez lui à 19 h.

Un rapport très important de Human Rights Watch, en janvier, montre de façon précise comment leur dépendance de ces permis a rendu les travailleurs palestiniens vulnérables aux abus.

Les agences du gouvernement israélien n’assurent pratiquement aucun suivi ni aucune protection au travail pour les travailleurs palestiniens, en dépit d’une décision de la Haute Cour israélienne selon laquelle ils doivent être eux aussi couverts par la législation du travail.

Dans cette situation, il appartient aux travailleurs de revendiquer leurs propres droits. Mais la plupart d’entre eux ne le font pas de crainte des représailles de l’employeur, d’un retrait de leur permis, et d’être inscrits sur les listes noires.

« L’environnement discriminatoire et le vide en matière de contrôle dans lesquels ils fonctionnent tempère considérablement les allégations des employeurs des colonies et leurs partisans selon lesquelles ces entreprises profitent aux Palestiniens en ce qu’elles leur fournissent un travail », déclare Human Rights Watch. « De telles allégations ne tiennent également aucun compte de la façon dont les entreprises des colonies se retranchent derrière un système discriminatoire et illicite et dont elles tirent profit, un système qui nuit à l’économie et aux moyens de subsistance des Palestiniens ».

Human Rights Watch arrive à la conclusion qu’il n’existe aucun moyen pour ces entreprises de faire la moindre affaire à l’intérieur des colonies, ou en relation avec elles, sans contribuer aux flagrantes violations d’Israël des droits humains des Palestiniens.

 

Un investissement positif ?

Birnbaum a déclaré au Times of Israel qu’il n’abandonnera pas ses anciens employés et qu’il envisage d’aider les Palestiniens à monter leur propre industrie. « Si le gouvernement israélien ne veut pas que les Palestiniens viennent à leur travail ici, je vais faire venir le travail aux Palestiniens », dit-il.

Son propos fait écho aux sentiments de nombreux critiques de BDS qui affirment que plutôt que de se désinvestir des entreprises israéliennes, ceux qui se préoccupent vraiment des Palestiniens feraient mieux d’investir dans l’économie palestinienne.

Ce que ce sentiment ne prend pas en compte, c’est que le principal obstacle à l’économie palestinienne est justement l’occupation et la colonisation toujours en cours par Israël de la terre palestinienne.

Cela inclut, comme le note Human Rights Watch, cette politique qui s’empare de la terre et des ressources des Palestiniens, qui limite leurs constructions, leur commerce et leurs déplacements.

Tandis que les colonies profitent d’incitations financières, de permis de construire et de la faculté d’extraire les ressources naturelles de la terre palestinienne, le gouvernement israélien dénie ces mêmes droits pratiquement à toutes les entreprises palestiniennes sous son contrôle.

Ainsi, et selon les estimations de la Banque mondiale, les restrictions israéliennes coûtent à l’économie palestinienne 3,4 milliards de dollars chaque année, soit environ le tiers du PIB palestinien.

« L’investissement en Palestine – sans se défaire de l’occupation israélienne – ne fait que continuer à souscrire au statu quo de l’occupation militaire », écrit l’homme d’affaire américano-palestinien, Sam Bahour, qui a acquis des décennies d’expérience en tentant de construire l’économie palestinienne. « Pour que l’investissement réussisse », dit-il, « l’occupation doit être démantelée et le contrôle passer aux Palestiniens ».

 

Des boucliers humains

Pourtant, en dépit de tels appels venant du milieu d’affaires palestinien, les critiques du BDS continuent de se servir des travailleurs palestiniens comme de boucliers humains contre le militantisme économique.

Des larmes de crocodile semblables avaient été versées au nom des travailleurs sud-africains quand l’archevêque Desmond Tutu avait appelé à des sanctions dans son pays, durant la lutte contre l’apartheid.

La société civile palestinienne a massivement approuvé la campagne contre SodaStream, notamment les syndicats palestiniens.

Écrivant juste quelques jours avant les derniers propos de Birnbaum, le rédacteur en chef du Times of Israel, David Horovitz, félicitait d’un ton sarcastique le mouvement BDS pour avoir mis les travailleurs palestiniens de SodaStream au chômage.

Il répétait aussi comme un perroquet les affirmations de l’entreprise selon lesquelles les travailleurs palestiniens étaient traités à égalité – ou tout au moins, « que les salaires et les avantages étaient les mêmes pour les travailleurs ayant des emplois comparables, quelles que soient leur citoyenneté et leur origine ethnique ».

Ce que l’expression « emplois comparables » oublie de façon commode, c’est le fait que The Electronic Intifada rapportait il y a trois ans : que les Palestiniens étaient relégués presque exclusivement à des « travaux manuels » – eux et une poignée d’immigrants juifs africains, ou « juifs noirs ».

Seule une infime partie des employés palestiniens occupait une position de niveau élevé et aucun d’entre eux à un poste de gestion.

D’autres articles indiquent que les réclamations des travailleurs de SodaStream sont communes à de nombreuses sociétés des colonies, notamment s’agissant de la discrimination raciste et de la crainte des travailleurs de s’exprimer parce qu’ils peuvent facilement se faire licencier.

 

Une crédibilité douteuse

Pourtant, Birnbaum a réussi à vendre aux grands médias le mythe de l’égalité de traitement et de l’harmonie à SodaStream.

Tant l’Associated Press et le Times of Israel parlent de ce travailleur palestinien, Muhammad Jaradat, qui a dit de Sodastream que c’est « une usine de la paix », où « tout le monde est à égalité ».

Ses mots ressemblent étonnamment à ceux de Birnbaum dans The Jerusalem Post, disant que sa société est « une fantastique île de paix ».

Le fait qu’un travailleur palestinien utilise les mêmes mots que son employeur israélien ne doit pas être surprenant quand on sait que les employés utilisés dans les campagnes de relations publiques de SodaStream sont formés pour dire ce qu’il faut dire, et comment il faut le dire.

La vérité, selon Human Rights Watch, c’est que « les entreprises des colonies contribuent aux violations du droit international par Israël, indépendamment de la façon dont elles traitent leurs employés ».

Quant à la crédibilité propre de Birnbaum, voyons ce qu’il a prétendu le mois dernier, que ses relations avec les travailleurs en Cisjordanie étaient si importantes qu’il fermerait sa nouvelle usine pour protester, si leurs permis n’étaient pas renouvelés.

« S’ils ne restent pas ici, alors je n’y resterai pas non plus. Si je dois fermer cette usine, je la fermerai », a-t-il dit.

C’est, semble-t-il, ce que le gouvernement israélien a appelé son bluff.

 

https://electronicintifada.net/blogs/ryan-rodrick-beiler/sodastream-factory-peace-remains-myth

Traduction : JPP pour BDS FRANCE