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12/12/14

Omar Barghouti devant une salle comble à Columbia : Israël n’a pas de réponse au BDS

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Philippe Weiss, 6 décembre 2014

L’apparition d’Omar Barghouti à l’université Columbia mardi soir a été ressentie comme un jalon dans le mouvement palestinien de solidarité aux USA. Une grande salle de la fac de droit était bondée et l’ambiance était festive. Des sommités de la communauté participaient, parmi elles Lila Abu-Lughod, Rula Jebreal, Rashid Khalidi, Rebecca Vilkomerson, Nadia Abu El-Haj, Dorothy Zellner et Lia Tarachansky. Le discours de Barghouti a été extrêmement optimiste. Il a dit que le mouvement Boycott Désinvestissement Sanctions remportait des victoires bien plus vite que les organisateurs n’avaient imaginé quand ils ont commencé il y a neuf ans, plus vite que le mouvement sud-africain n’avait progressé. Et le mouvement BDS reçoit le soutien « secret » de l’administration Nétanyahou, qui fait tout son possible pour faire la preuve qu’une démocratie juive est un sophisme.

Le suspense de l’attente que les soutiens d’Israël s’expriment fit long feu, on n’eut pas le genre de show habituel en de telles occasions. La professeure de droit Katherine Franke avait invité la foule à ne pas se comporter civilement dans la discussion sur une des questions morales les plus contestées de notre époque, et à la fin, un homme à l’arrière dit qu’il avait une question courte.

« Croyez-vous que le peuple juif a un droit à l’autodétermination ? » Et si oui, « Où devrait-il être ? ».

Barghouti répondit que ce n’était pas à lui, comme Palestinien, de décider si les communautés juives constituent une nation, ni où elles devraient avoir un Etat. Quoiqu’il fit remarquer qu’il n’y a pas de consensus mondialement parmi les juifs sur s’ils forment ou non un peuple, c’est un débat récent, et en fait jusqu’en 1945 la majorité des juifs ne soutenaient pas une souveraineté juive. Puis il dit fermement :

« Une chose que je sais : pas à mes dépens. S’ils sont une nation et ont un droit à l’autodétermination, pas à mes dépens. Ceci ne leur donne pas le droit de nous expulser ni de prendre notre terre. »

L’audience éclata en applaudissements, la première fois en deux heures qu’un orateur était interrompu par des applaudissements. Barghouti en vint rapidement aux autres questions. L’interrogateur sortit de la salle.

Ceci résume l’esprit de cet événement. Son titre était, « Le moment sud-africain de la Palestine ? ». Barghouti dit qu’enfin la Palestine semblait s’approcher de ce moment. L’orateur Mahmood Mamdani dit qu’il n’en est rien. Je traiterai de l’analyse de Mamdani dans quelques jours. Mais en attendant, voici un résumé des remarques de Barghouti.

Barghouti commença en citant la déclaration de Zeev Jabotinsky de 1923 disant que parce que les Palestiniens n’accepteront jamais la saisie sioniste de leurs terres, les Sionistes doivent construire un « mur de fer » et convaincre les Palestiniens qu’il est impossible de résister à la colonisation. Barghouti dit que dans la vue géopolitique de l’époque, il était réaliste pour les sionistes de conclure que les Palestiniens abandonneraient la lutte, et si Jabotinsky pouvait voir le Président Mahmoud Abbas aujourd’hui, il « ferait la fête dans sa tombe : ‘Voyez, je vous l’avais dit, ils ont laisser tomber’ ».

Mais l’histoire récente montre que les Palestiniens n’ont pas abandonné, et en réalité ils inspirent la sympathie et l’attention du monde.

« Les dernières discussions en Israël sur la loi de l’État-nation juive a mis sur l’avant-scène la possible divulgation de tout le projet sioniste. Et ce ne sont pas mes paroles, ce sont les paroles de certains leaders très importants en Israël, qui le disent. Ce qui se passe, c’est que le caractère d’oxymore d’une identité « juive et démocratique » de l’État d’Israël se révèle.

Je peux comprendre la frustration de l’extrême droite en Israël. « Pourquoi le monde entier, même les USA, est contre nous sur cette nouvelle loi ? Pourquoi sont-ils aussi furieux ? Nous n’avons jamais cessé de le faire, nous ne faisons que formaliser ».

Depuis sa mise en place en 1948, Israël a discriminé en permanence par la loi les Palestiniens du pays. Autrement qu’en les nettoyant ethniquement, bien sûr. Alors pourquoi tout le monde est-il si mécontent quand ils essaient de codifier l’identité juive de l’État ? Certains disent que c’est aux dépens de l’identité démocratique. Quelle identité démocratique ? Quand vous avez 50 lois qui discriminent contre une minorité parmi vos citoyens, ce n’est pas de la démocratie….

Ce que font Nétanyahou et son gouvernement d’extrême droite, c’est de démonter cet oxymore. Il ne peut plus exister. Soyons vraiment honnêtes, oubliez la démocratie. Il s’agit d’une ethnocratie… C’est un État juif suprématiste. Alors – pas de faux semblant de démocratie. Et il s’agit d’un développement très important parce qu’il révèle la nature réelle d’Israël. Le masque de la soi-disant démocratie d’Israël a été jeté. »

Barghouti continua sur les tactiques et les succès du mouvement Boycott, Désinvestissement et Sanctions.

« Nous le voyons comme notre but, dans le cadre de ce que le mouvement BDS  fait dans ce pays: détromper les Américains du mythe d’un empire bénéficiant à tous… Seulement quand la majorité des gens de ce pays réaliseront qu’Israël ne sert pas l’intérêt général des Américains, mais les intérêts d’1%. La grande majorité des Américains ne peuvent nullement bénéficier de ce qu’Israël fait au peuple palestinien.

Shabtai Shavit, un ancien chef du Mossad a écrit dans Haaretz il y a une quinzaine de jours que pour la première fois de sa vie, il s’inquiétait réellement de l’avenir du projet sioniste. Shabtai Shavit n’est pas un gauchiste. Ce n’est pas votre Che Guevara typique mais un sioniste endurci honnête et bon teint. Il s’inquiète vraiment, vraiment… Il dit : l’Europe se ferme devant nous, les marchés européens, même les USA, notre meilleur ami, la relation ne peut pas être pire, c’est un abîme sans précédent. Et le troisième point qu’il mentionne comme indicateur de son désespoir, c’est que les campus universitaires occidentaux, comme le vôtre, sont les incubateurs des futurs dirigeants de leur pays. Il dit : nous perdons la bataille du soutien pour Israël dans le monde universitaire. De plus en plus d’étudiants juifs se détournent d’Israël. Le mouvement BDS mondial a grandi et pas mal de juifs en sont membres.

C’est une des rares fois où un leader israélien mentionne la dimension juive du mouvement BDS. Elle est complètement ignorée. »

Barghouti a dit que quand il a écrit un éditorial pour le New York Times en janvier, « Pourquoi Israël craint le boycott », il a dû insister pour inclure le fait que BDS a un soutien juif petit mais fort. Ce fut un « point extrêmement difficile que j’ai eu à négocier avec le New York Times ».

Lors de ses venues aux États-Unis, on lui demande systématiquement d’en rabattre sur le troisième pilier de l’appel BDS, honorer le droit au retour des réfugiés palestiniens. En vérité, c’est le droit le plus significatif du peuple palestinien. Le pourcentage de Palestiniens réfugiés, en incluant ceux déplacés à l’intérieur d’Israël, avoisine 69 %. « C’est pourquoi, absolument, le droit au retour est le droit le plus significatif de l’appel BDS ».

Ensuite, Barghouti est allé décrire le grand succès du mouvement, et pourquoi il croit qu’Israël s’approche de son moment sud-africain.

L’appel BDS a été modelé sur l’appel sud-africain de boycott et de désinvestissement, mais on ne fait pas du copier-coller. Il y a des différences importantes. « Sur plusieurs aspects, Israël est un système pire que l’apartheid sud-africain ». Israël a commis un nettoyage ethnique et des massacres qui sont pires que les épisodes sud-africains, comme lui ont dit ses partenaires.

« « Nous n’avons jamais vu de bombes de F16 sur nos Bantoustans. Nous n’avons jamais vu de plaques d’immatriculation différentes sur les voitures ». Et ainsi de suite. »

Israël un système plus sophistiqué et évolué d’oppression que l’Afrique du Sud. Et le mouvement BDS s’est développé plus vite qu’en Afrique du Sud.

« Depuis que le mouvement BBS a été lancé, nous avons réalisé bien plus en neuf ans que ce que nous avions pensé possible à l’origine. En vérité, le mouvement est parti bien, bien plus rapidement qu’en Afrique du Sud. Il y a de nombreuses raisons à cela. Israël est au centre de l’univers ; les Israéliens tendent à y croire – mais d’une certaine façon, ils y sont, à cause du pouvoir des USA, de l’holocauste, de nombreux facteurs. Internet. »

Les communiqués du mouvement antiapartheid sud-africain à ses supporters dans l’université de Columbia venaient par quelques fax clandestins dans le sous-sol de quelqu’un, dit Barghouti. Maintenant, les médias sociaux et les e-mails rendent ces communications vastes et instantanées.

En 2013, Israël a classé officiellement BDS comme « menace stratégique », quand il a transféré la lutte contre le mouvement du ministère des affaires étrangères, un ministère de propagande, au ministère des affaires stratégiques.

« Pourquoi Israël, une puissance nucléaire toujours très puissante économiquement, serait-elle effrayée de cette nuisance non violente comme ils nous ont qualifié au début ? Eh bien, j’aurais très peur à leur place. Je peux être un peu plus malin qu’eux sur le moyen de la combattre. Mais je ne vais pas leur dire. [Rires]. Je pense que leur Q.I. est en baisse. Je ne sais pas ce qui arrive au sionisme. Mais quand je venais étudier ici, les sionistes étaient très malins… Soit les personnes malignes ont abandonné le sionisme soit le Q.I. moyen des sionistes a baissé, mais vraiment ils ne pensent pas de façon cohérente. Parce qu’ils ne sont pas parvenus à une seule tactique intelligente pour combattre BDS…depuis 2005. Je ne vais pas me rendre arrogant. Je veux dire, sérieusement, que nous ne sommes pas sérieusement défiés. Ça devient une porte ouverte. »

Pendant des années la bataille a porté sur l’image d’Israël. Israël a injecté des milliards pour requalifier le pays en démocratie libérale, en paradis pour les homosexuels, les scientifiques, les artistes et les entrepreneurs et pour exploiter abusivement le génocide des juifs pour renforcer son image, a dit Barghouti. Et pourtant il lutte en impopularité avec la Corée du Nord qui n’a rien dépensé en propagande.

« À nouveau le problème est – si on parle de QI, – vous faites un massacre à Gaza et ça [la campagne d’image] disparaît d’un seul coup. Ça ne marche pas. OK vous pouvez exporter vos ballerines et vos musiciens. Mais alors vous commettez un grand crime de guerre et ça s’évanouit. Les gens ne sont pas idiots. »

Barghouti décrivit une liste des triomphes du BDS lors des une ou deux dernières années, dont beaucoup dans les communautés universitaires et religieuses. Il y a un an, il n’aurait pas pu dire si le mouvement avait un impact économique sur Israël. Maintenant il peut. Il cita les désinvestissements bancaires en Europe et la vente par Bill Gates d’actions dans un entrepreneur pour les prisons israéliennes, G4S.

Il y eut une époque dit-il, où la phrase « Made in Afrique du Sud » était « toxique, intouchable ». Il ajoute : « Nous n’en sommes pas là, mais nous nous en rapprochons ».

Israël a aidé cette tendance.

« Ils ne viennent pas avec des solutions rationnelles au BDS. Pas qu’il y ait une solution facile… Il n’y aura pas de solution jusqu’à ce que le système d’oppression qui a été révélé au monde… principalement grâce au mouvement BBS et au gouvernement d’apartheid [,finisse]. Nous devons en louer Nétanyahou. Sans lui nous ne serions pas parvenus aussi loin à présent. Cela pourrait avoir pris plus, bien plus de temps, mais grâce au gouvernement israélien, notre plus grand soutien clandestin dans le monde, nous avançons bien plus vite. »

Il ressort de plus en plus que le Moment sud-africain d’Israël arrive enfin, a-t-il dit.
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Traduction : JBB-CCIPPP