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17/06/16

BDS : discuter des questions difficiles dans un mouvement en plein essor-Omar Barghouti

Omar Barghouti – 14 juin 2016 – Al-Shabaka

Introduction

Les attaques d’Israël contre le mouvement de Boycott, Désinvestissement et Sanctions (BDS) et contre d’autres défenseurs des droits humains vivant sous occupation, comme le personnel d’Al Haq, ont fait la une des médias ces dernières semaines, notamment avec les menaces directes par des dirigeants israéliens de premier plan contre les militants BDS, et en particulier contre le co-fondateur du mouvement, Omar Barghouti.

Au-delà des grands titres, le travail continue, comme continuent le débat et la discussion pour faire avancer le mouvement chez les Palestiniens, dans leur pays et à l’étranger, ainsi que parmi les militants de la solidarité dans le monde. Il y a beaucoup à débattre et certaines questions sont difficiles, notamment les questions de cadrage. La directrice exécutive d’Al-Shabaka, Nadia Hijab, a abordé certaines de ces questions dans un entretien qui couvre nombre de ces points avec Omar Barghouti.

Omar a commencé par préciser que toutes les opinions qu’il exprime ici sont les siennes, et les siennes seulement ; elles ne reflètent pas nécessairement celles de l’ensemble du mouvement BDS ou de sa direction palestinienne, le Comité national du BDS (le BNC).

 

Omar, merci d’abord d’avoir pris du temps dans ces moments particulièrement difficiles (le mot est faible), pour le mouvement et pour vous personnellement. Les objectifs du mouvement BDS – auto-détermination, fin de l’occupation, égalité pour les citoyens palestiniens d’Israël, et droit au retour – englobent les droits palestiniens comme stipulés dans la législation internationale. Mais nous savons que le mouvement BDS ne peut suffire à lui seul pour réaliser les droits palestiniens. Quels sont les autres mouvements nécessaires, et quelle combinaison de stratégies faut-il ?

Les boycotts, d’un point de vue historique, ont été l’une des principales stratégies de résistance à la disposition des Palestiniens de tous les milieux, et aujourd’hui, dans le domaine de la solidarité internationale, le BDS constitue la forme la plus importante, et stratégique, de soutien à notre lutte pour l’autodétermination. Le mouvement n’a jamais prétendu être la seule stratégie pour réaliser tous les droits des Palestiniens issus de la législation internationale. Il n’est pas non plus possible de s’attendre à ce qu’il restitue par lui-même leurs droits aux Palestiniens. Entre autres stratégies, par exemple, il existe la résistance populaire locale contre le mur et les colonies, de même que des stratégies juridiques visant à tenir Israël et ses dirigeants responsables des crimes qu’ils ont commis contre le peuple palestinien.

En fait, l’une des stratégies les plus importantes dont nous disposons, et qui est à peine suivie, est le travail diplomatique et politique auprès des parlements et des gouvernements dans le monde, afin d’isoler le régime d’occupation d’Israël, son colonialisme de peuplement et son apartheid, et d’obtenir que lui soient imposées des sanctions identiques à celles appliquées à l’Afrique du Sud de l’apartheid. S’engager dans cette direction est difficile surtout en raison d’une bureaucratie palestinienne complice, et à laquelle font défaut un mandat démocratique, des principes et une vision.

« Le mouvement BDS n’a jamais prétendu être la seule stratégie pour réaliser tous les droits des Palestiniens… Il n’est pas non plus possible de s’attendre à ce qu’il restitue, de lui-même, leurs droits aux Palestiniens. »

Un élément très important de la résistance palestinienne au régime d’Israël est constitué par les Palestiniens en exil qui représentent la moitié du peuple palestinien. Nous ne parlons pas seulement de la communauté des réfugiés, qui est nettement la plus importante à prendre en compte, mais aussi des Palestiniens comme ceux qui oeuvrent au sein d’Adalah New York, des Étudiants pour la justice/section Palestine, dans les mouvements sociaux au Royaume-Uni ou au Chili et leurs équivalents à travers le monde, des communautés palestiniennes en exil, qui jouent un rôle de premier plan dans la promotion des droits palestiniens, notamment dans les actions liées au BDS.

Les citoyens palestiniens d’Israël sont aussi souvent oubliés quand les gens parlent de la résistance palestinienne, malgré leur rôle crucial non seulement dans la ténacité face au régime d’Israël de colonialisme de peuplement, mais aussi malgré leur résistance populaire, universitaire, culturelle, juridique et politique active contre le régime et ses structures et politiques racistes, institutionnalisées et légalisées.

Certains Palestiniens en exil, cependant, prétendent ne pas être disposés à soutenir le BDS parce que « les Palestiniens ne « font » pas de solidarité avec notre propre peuple ».

Mais le discours politique traditionnel palestinien des années 1960, 1970 et 1980 a en grande partie disparu. En Afrique du Sud, le mouvement de libération nationale est resté actif jusqu’à la toute dernière minute, mais nous avons, malheureusement, perdu beaucoup de ce qui a fait le mouvement palestinien de libération nationale, pour une grande part à cause des accords d’Oslo. La direction palestinienne, avec l’approbation explicite ou implicite de la plupart des partis politiques palestiniens, a cédé les droits palestiniens fondamentaux et s’est soumise aux ordres des États-Unis et de l’Union européenne de s’adapter au maximum au régime d’oppression coloniale d’Israël.

Le peuple palestinien se trouve maintenant en situation de perte et de désarroi. Il n’y a plus de « consensus national » palestinien, si jamais il y en a eu un. Même les partis politiques palestiniens, de droite comme de gauche, islamiques comme laïcs, parlent presque sans exception d’« indépendance » et non de libération nationale, souvent en oubliant les réfugiés et toujours en omettant d’inclure les citoyens palestiniens d’Israël dans la définition même de peuple palestinien.

Il appartient au peuple palestinien tout entier de déterminer son avenir et la solution à ce conflit colonial. D’ici là, chaque individu palestinien, groupe ou coalition, doit s’efforcer d’affaiblir le régime d’oppression israélien, comme préalable à l’obtention des droits palestiniens de la législation internationale. Nous, dans le mouvement BDS, nous avons opté pour développer une forme, consacrée par l’expérience, de résistance palestinienne, forme la plus efficace de solidarité populaire internationale avec notre résistance et qui se base sur les droits et non sur les solutions politiques.

Le BDS, bien sûr, reconnaît qu’il existe d’autres stratégies et approches ; nous disons simplement que nous choisissons de nous concentrer sur les droits, et non sur les solutions, parce que pour que toute solution politique – déterminée par la majorité de tous les Palestiniens où qu’ils se trouvent – soit juste, globale et viable, elle doit satisfaire à nos droits issus de la législation internationale. De plus, pour qu’elle soit efficace, vous devez vous rapprocher d’un consensus palestinien et réaliser qu’il faut nous en tenir au dénominateur commun de principe et stratégique le plus bas, aux objectifs les plus importants et les moins controversés du peuple palestinien, auxquels presque personne ne pourra s’opposer, à savoir : la fin de l’occupation de 1967, la fin du système d’apartheid, et la réalisation du droit au retour des réfugiés palestiniens dans leurs foyers et leurs biens d’où ils ont ethniquement été nettoyés durant et depuis la Nakba. Et nous adhérons à ces droits, strictement.

Cette approche nous a apporté un large soutien chez les Palestiniens. Le BNC a récemment organisé un rassemblement relativement important à Ramallah démontrant le soutien populaire palestinien au BDS. Personnellement, je ne considère pas cette sorte de mobilisation de rue comme un indicateur décisif de soutien populaire, mais mes collègues ont insisté, pour eux il fallait le faire afin de démontrer au monde tout l’intérêt populaire pour le BDS. Il y a eu plus de 2000 personnes et beaucoup d’intervenant de partis politiques, de mouvements populaires et de syndicats qui, tous, ont exprimé un fort soutien au BDS. L’un des effets de ce rassemblement a été de désamorcer la perception qu’ont certains milieux locaux que le BDS était « élitiste ».

Il y a ceux qui ne veulent pas soutenir le mouvement non violent du BDS parce qu’il se situe « en dessous de leur plafond politique ». Être révolutionnaire, à mon point de vue, ne consiste pas à scander des slogans « révolutionnaires » irréalisables et qui, par conséquent, n’ont que peu de chances de contribuer au processus visant à mettre fin à la réalité d’une oppression. Ce qui est véritablement révolutionnaire, c’est de lancer un slogan moralement cohérent et fondé sur un principe qui soit propice à une action sur le terrain conduisant à un changement réel vers la justice et l’émancipation. À défaut, vous restez un intellectuel de salon.

Et pourtant, la façon dont le mouvement BDS est parfois représenté fait penser qu’il serait le seul à pouvoir vraiment réaliser les droits des Palestiniens. Les fréquentes références à l’Afrique du Sud véhiculent cette impression, intentionnellement ou non.

Nous, Palestiniens, comparons toujours nos stratégies et nos progrès aux mouvements sud-africains et autres pour la justice, l’autodétermination et les droits humains – et nous savons qu’il nous manque des piliers clés qui furent essentiels pour leur succès.

En Afrique du Sud, par exemple, la lutte nationale dirigée par le Congrès national africain a identifié quatre piliers stratégiques pour la lutte pour la fin de l’apartheid : des mobilisations de masse, une résistance armée, un mouvement politique clandestin, et une solidarité internationale (particulièrement sous la forme de boycotts et de sanctions). Il n’y a pas de stratégie « copiée-collée » pour parvenir à la libération et aux droits humains – chaque expérience coloniale est différente et a ses particularités uniques. Nous nous sommes engagés dans l’évolution de nos propres stratégies palestiniennes, qui conviennent à notre environnement de lutte pour la justice et la dignité.

« Être révolutionnaire… ne consiste pas à scander des slogans « révolutionnaires »… Ce qui est véritablement révolutionnaire, c’est de lancer un slogan fondé sur un principe, et moralement cohérent, qui soit propice à une action sur le terrain conduisant à un changement réel vers la justice et l’émancipation. »

Dans le cas de la lutte palestinienne, le pilier du mouvement clandestin se limite à Gaza où il est isolé. Le droit international reconnaît le droit à toute nation sous une occupation étrangère d’y résister par tous moyens, y compris la résistance armée, tant que toutes les formes de résistance sont elles-mêmes conformes au droit international et aux principes des droits de l’homme. En dehors de cela, en tant que défenseurs des droits humains, nous sommes tenus de considérer le rapport coûts-avantages de ce pilier à ce niveau, et de mesurer le coût humain de toute résistance.

En ce qui concerne la mobilisation de masse, ce que nous pouvons faire dans le territoire palestinien occupé en termes de résistance populaire, par exemple, contre le Mur, est assez limité. Et il ne s’agit pas vraiment d’un mouvement de masse comme, par exemple, furent populaires la lutte récente des enseignants, ou les grèves contre le néo-libéralisme du gouvernement de Salam Fayyad ou contre la loi relative à la sécurité sociale.

La question de l’efficacité des différentes formes de résistance est fondamentale, et nous, dans le mouvement BDS, nous soulevons celle de l’efficacité de nos stratégies internationales, respectueuses des lois, non violentes, à chaque étape.

Une autre préoccupation est que certains discours du mouvement BDS laissent penser que les Palestiniens sont sur le point de réaliser leurs droits. Cela provient non seulement des références fréquentes au « moment » de l’Afrique du Sud, mais aussi de déclarations qui affirment qu’un « point de basculement » a été atteint.

Oui, mais quand nous parlons de point de basculement, nous entendons un point de basculement relatif uniquement au pilier spécifique de l’isolement international. La mesure de l’efficacité est de savoir si vous êtes en train d’atteindre vos objectifs ou non. Le BDS est l’une des stratégies de résistance intérieure et c’est également la stratégie internationale la plus importante. Nous n’avons jamais prétendu autre chose. Pourquoi alors, le BDS devrait-il être tenu responsable, par exemple, de l’incapacité du peuple palestinien à atteindre nos objectifs d’autodétermination et de libération nationale ? Au moins, reconnaissez-nous le mérite d’être réalistes.

Il y a beaucoup et de plus en plus de critiques du cadre juridique international. Est-ce que cela pose un problème au mouvement BDS étant donné qu’il se fonde sur le droit international ?

Pour être efficaces dans la mobilisation d’une pression internationale par des groupes et individus de conscience contre le régime d’oppression d’Israël, et aussi pour être moralement cohérents, nous devons adopter les principes des droits de l’homme qui sont aussi universels qu’il est possible, autant qu’un langage qui touche les gens dans le monde et les incite à agir. C’est le langage du droit international. Nous connaissons les failles inhérentes au droit international aussi bien que quiconque. Mais nous savons aussi que c’est cela ou la loi de la jungle, et celle-ci ne travaille pas pour nous, en principe et en pratique, étant donné que nous sommes de loin la partie la plus faible physiquement.

Nous ne voulons pas d’une rhétorique symbolique : nous en avons assez et nous sommes fatigués du soutien rhétorique. Nous avons besoin d’une action efficace, d’une action stratégique qui a une chance de saper le système d’oppression afin qu’il soit, pour le peuple palestinien, plus réaliste d’atteindre nos droits stipulés par les Nations-Unies. L’action minimale que les gens peuvent entreprendre est de mettre fin à leur complicité. C’est une obligation profonde, juridique et morale, de mettre fin à cette injustice ; ce n’est pas un acte de charité.

« Nous, Palestiniens, comparons toujours nos stratégies et nos progrès aux mouvements sud-africains et autres pour la justice, l’autodétermination et les droits humains – et nous savons qu’il nous manque des piliers clés qui furent essentiels pour leur succès. »

Quelles sont les alternatives aux lois internationales ? Il est vrai que ce sont les empires coloniaux qui les ont écrites. Il est vrai que ce ne sont pas des lois modérées favorables aux peuples du monde, mais ce ne sont pas non plus un dogme ou un ensemble de lois statiques qui seraient gravées dans la pierre. Il y a une vue simpliste de la législation internationale qui ne la voit pas comme quelque chose de dynamique, une chose sur l’interprétation et l’application de laquelle nous, à travers nos luttes persistantes et de masse, pouvons influer. Après tout, nous ne demandons pas la lune ; nous travaillons tout simplement à faire appliquer systématiquement le droit international à Israël et à mettre fin à son statut exceptionnel d’État au-dessus des lois. C’est une exigence simple, mais d’une portée considérable, qui requiert des années de lutte stratégique.

Il y a un manque de clarté autour des lignes directrices s’agissant de la normalisation, qui est souvent source de tensions avec les militants – et particulièrement chez des Palestiniens qui peuvent s’engager dans des activités dites « activités de normalisation » et qui n’apprécient pas ce qui semble remettre en question ce qu’ils appellent leur nationalisme.

Les lignes directrices pour la normalisation sont très claires. Le document qui s’y réfère a été adopté par consensus lors de la première conférence nationale du BDS palestinien, en novembre 2007. La normalisation, dans ce contexte, est comprise par les Arabes, dont les Palestiniens, comme signifiant qu’une chose qui est intrinsèquement anormale, telle une relation avec l’oppression coloniale, apparaisse comme trompeusement normale. Selon les lignes directrices du BDS, il y a ici deux grands principes pour qu’une relation entre une partie palestinienne (ou arabe) et une partie israélienne ne soit pas considérée comme une normalisation. Le côté israélien doit reconnaître les droits globaux des Palestiniens issus de la législation internationale, et la relation elle-même doit être une co-résistance à l’oppression, et non une « co-existence » sous l’oppression.

Tout l’enjeu est que de telles relations ne doivent pas légitimer, dissimuler ou blanchir les violations d’Israël des droits palestiniens. Prenons le cas, qui pourrait ne pas être évident immédiatement, d’une organisation aux États-Unis qui prévoit une conférence en ayant reçu le parrainage d’Israël ou d’une institution israélienne complice de violations des droits palestiniens. Et disons que l’organisation états-unienne s’apprête à recevoir un panel qui inclurait des orateurs palestiniens, de manière à fournir un espace pour une expression palestinienne. Une participation dans ces conditions signifierait que nous sommes effectivement en train de normaliser le parrainage israélien – autrement dit, de normaliser les violations de nos droits. C’est un prix trop lourd à payer pour que nos voix soient entendues, aussi important que cela puisse être étant donné la suppression de ces voix dans les médias traditionnels. Alors, dans ce cas, nous travaillons étroitement pour faire pression sur nos partenaires afin qu’ils suppriment ce parrainage israélien, et si cela échoue, nous appelons au boycott.

Mais il existe toujours des zones floues, et c’est dans ces zones floues que les problèmes peuvent se poser – d’autant plus que certaines personnes prennent sur leurs épaules de s’exprimer au nom du mouvement BDS et dictent la loi, alors qu’ils n’ont aucune autorité pour agir ainsi.

Il y a toujours des zones floues. Je dirais que 90 % des cas que nous traitons sont effectivement flous. Quand nous tombons sur une zone floue, nous revenons au principe et faisons de notre mieux pour en évaluer l’avantage et le coût. Le BDS, après tout, n’est pas destiné à être un dogme, mais plutôt une stratégie efficace pour aider notre lutte pour nos droits.

Certains Palestiniens veulent le beurre et l’argent du beurre. Ils se permettent de lancer des projets et des activités qui se trouvent manifestement en conflit avec les lignes directrices d’anti-normalisation, adoptées depuis 2007 par la plus large coalition de partis politiques, syndicats et réseaux de la société palestinienne, et pourtant ils refusent de caractériser ces activités comme une normalisation, simplement parce qu’elles sont « patriotiques » et que « nul ne doit mettre cela en doute ». Dans le mouvement BDS, nous ne mettons en doute le patriotisme de quiconque, et nous n’avons jamais étiqueté qui que ce soit, ni recouru à des attaques personnelles ; ce serait en contradiction avec nos principes en tant que mouvement. Nous repoussons aussi toute suppression de la liberté d’expression et tout rejet simpliste et dangereux, en tant que « traîtres » de ceux qui participent à la normalisation.

« Nous attaquons des positions et des déclarations mais pas les personnes, et nous ne croyons pas dans les listes noires ni en toute forme de maccarthysme. Cela contrevient à nos principes, c’est un abus de pouvoir, et c’est contre-productif. »

Le Comité national palestinien du BDS (le BNC) mobilise simplement une pression morale pour dénoncer les activités de normalisation afin de saper cette normalisation. Il est fondamental de s’opposer aux activités de normalisation parce qu’elles constituent une arme capitale qu’Israël a utilisé contre le mouvement et contre la lutte des Palestiniens pour leurs droits en général.

Et parfois, nous faisons des choses qui sont vues comme en avance sur leur temps, ou utilisant un langage qui n’est pas encore accepté. Par exemple, quand nous avons au début utilisé l’apartheid comme une facette essentielle du régime d’oppression d’Israël ou insisté sur le droit au retour dans notre discours international, les deux ont été critiqués non seulement dans les grands médias mais même aussi dans certains milieux de la solidarité Palestine en Occident. Aussi, quand l’appel de 2004 par la PACBI (la Campagne palestinienne pour le boycott académique et culturel d’Israël) a évoqué le sionisme en tant qu’idéologie raciste, pilier du régime colonial d’Israël, cette question a été âprement discutée dans les milieux de la solidarité Palestine en Occident dans la période post-Oslo.

Il est important de ne pas confondre opposition au sionisme et au régime d’Israël d’oppression coloniale et d’apartheid, et opposition aux juifs : ce n’est absolument pas le cas. Le mouvement BDS a invariablement et catégoriquement rejeté toutes formes de racisme, incluant l’islamophobie et l’antisémitisme. Le fait que 46 % des hommes juifs-américains non orthodoxes de moins de 40 ans soutiennent un boycott total d’Israël pour mettre fin à son occupation et à ses violations des droits humains, selon un sondage de 2004, atteste en partie du caractère inclusif, antiraciste du mouvement.

Pouvez-vous citer un exemple de ce que vous faites quand il y a une zone floue ?

Nous ne prenons jamais de décisions en tant que membres individuels du BNC ou de sa branche académique et culturelle, la PACBI, quand il existe une zone floue ; nous en revenons toujours au groupe et décidons collectivement, sur la base de principes convenus collectivement, pas sur la base d’opinions personnelles ou des tendances de chacun d’entre nous. Nous ne donnons pas de conseils ni de recommandations tant que nous ne sommes pas parvenus à un consensus. Si nous nous trouvons dans une impasse, nous disons aux personnes qui demandent conseil que nous n’avons pas d’avis clair à leur donner. Nous choisissons nos batailles. Nous ne faisons pas la chasse à tout, et nous ignorons tant de cibles basées sur le calcul coût-avantage.

Nous ne publions pas de décrets ; à la place, nous publions des conseils. Nous ne disons jamais « Tu dois ».

« Il est fondamental de s’opposer aux activités de normalisation parce qu’elles constituent une arme capitale qu’Israël a utilisé contre le mouvement et contre la lutte des Palestiniens pour leurs droits en général. »

Et jamais nous n’utilisons d’attaques ad hominem – nous ne l’avons jamais fait depuis que le BDS a été fondé en 2005. Nous attaquons des positions et des déclarations mais pas les personnes, et nous ne croyons pas dans les listes noires ni en toute forme de maccarthysme. Cela contrevient à nos principes, c’est un abus de pouvoir, et c’est contre-productif. Personnellement, je ne me suis jamais engagé avec une personne qui, par exemple, nous attaque en tant qu’ « agents de l’impérialisme » ou une absurdité du même genre comme d’être d’ultra-gauche. Nous choisissons nos batailles, comme je l’ai dit précédemment, et nous gardons les yeux fixés sur les véritables ennemis. Quand nous sommes engagés pour arrêter une activité de normalisation, notre objectif est toujours, d’abord et avant tout, de convaincre la personne concernée à cesser la normalisation. Vous ne pouvez pas utiliser des attaques ad hominem et vous attendre à ce que cette personne vous rejoigne à vos côtés. Et en fait, de nombreux Palestiniens qui s’étaient lancés dans une normalisation il y a dix ans, sont aujourd’hui des partisans du BDS, et c’est en partie parce que nous évitons les injures personnelles. Celles-ci sont une erreur sur le principe, et également d’un point de vue pragmatique.

Quand quelqu’un a un doute, nous recommandons des conseils qui viennent de la PACBI ou du BNC, ou de l’un de nos partenaires dans un pays donné, et nous cherchons à dissiper ce doute par un débat interactif. Nous avons maintenant de bien meilleurs mécanismes, et en grand nombre, pour mettre en application les lignes directrices.

Il existe une zone floue qui a m’a été indiquée comme un exemple de ce que des Palestiniens ne comprennent pas, et qu’ils trouvent même problématique : que le fait que de détenteurs de passeports arabes entrant en Israël avec un visa délivré par une ambassade israélienne soit traité comme une normalisation, et pas celui d’obtenir un permis publié par les Israéliens à la demande de l’Autorité palestinienne (AP). Les gens ne font pas de différence puisque c’est Israël qui publie les deux.

C’est un point délicat et un qui est très difficile. Après de longs débats, des réunions de la communauté et des discussions avec de nombreux artistes palestiniens et organisations culturelles, nous avons conclu que lorsqu’un détenteur d’un passeport arabe reçoit un visa israélien, il ou elle normalise alors les relations arabes avec le régime d’occupation, de colonialisme de peuplement et d’apartheid, en qu’il ou elle traite ce régime comme s’il était normal. Ce qui n’est pas le cas quand on obtient un permis des autorités de l’occupation israélienne par l’intermédiaire de l’AP, en dépit de la nature problématique – c’est le moins que l’on puisse dire – du rôle de l’AP, parce que les Palestiniens sous occupation ont une relation coercitive avec Israël : les Palestiniens n’ont pas d’autre choix pour recevoir leur famille ou leurs amis du monde arabe que de passer par les autorités israéliennes. Mais d’avoir de telles relations ne signifie pas, en soi, reconnaître le régime d’Israël comme normal. Encore une fois, nous reconnaissons cela comme une zone difficile, et nous admettons que ce n’est pas la plus solide ou la plus irréfutable de nos lignes directrices.

Ma question est la suivante : pourquoi les Palestiniens, en Palestine ou en exil, qui critiquent le BDS, ne nous écrivent-ils pas, s’ils cherchent des éclaircissements ou veulent partager leurs critiques, d’une manière constructive qui renforce notre mouvement collectif ? Nous recevons quotidiennement des centaines de courriels de militants de la solidarité, mais très peu de Palestiniens. Certains Palestiniens s’en prennent au BDS sans se soucier au préalable d’écrire au BNC et de lui exprimer leurs critiques d’une façon qui pourrait aider ce mouvement déjà efficace à l’être davantage encore et à gérer les nombreux défis auxquels il est confronté. Nous sommes ouverts et nous encourageons sincèrement la discussion et le débat chez les Palestiniens de nos diverses communautés. J’en appelle à ceux qui ont des doutes, des critiques, ou des commentaires, pour qu’ils communiquent avec nous – il suffit d’écrite à pacbi@pacbi.org ou info@bdsmovement.net. En dépit de la charge de travail, en tant que bénévoles, à laquelle nous devons faire face, nous ferons le maximum pour répondre à chaque courriel reçu, en particulier ceux qui nous viennent de nos frères et sœurs palestiniens.

traduction : JPP pour BDS FRANCE

Source: Al-Shabaka