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11/08/25

BDS@20 : Résilience, résistance et régénération

Discours d’Omar Barghouti* à la réunion BDS@20 aux États-Unis le 8 août 2025.

Date d'origine : 09/08/2025
Auteur : Omar Barghouti
Source : Site du BNC

Dans la phase actuelle la plus dépravée du génocide étasuno-israélien diffusé en direct contre 2,3 millions de Palestinien·nes à Gaza, la « solution finale » israélienne d’après Jewish Voice for Peace, nous célébrons le 20e anniversaire du mouvement BDS. Nous affirmons notre pouvoir collectif comme jamais auparavant d’isolement du régime israélien d’apartheid et de colonisation de peuplement contre les Palestinien·nes autochtones, qui dure depuis 77 ans.

Il y a vingt ans, on nous disait qu’il était impossible qu’un mouvement pour les droits des Palestinien·nes appelant au boycott, au désinvestissement et à des sanctions ciblées contre le régime d’oppression israélien puisse voir le jour. Le 9 juillet 2005, la déclaration du Comité National Palestinien BDS (BNC), la plus grande coalition palestinienne à la tête du mouvement mondial BDS, « restera dans l’histoire comme le début d’un processus stratégique, créatif et fondé sur des principes, ayant isolé le régime israélien de colonisation de peuplement, d’apartheid et d’occupation militaire, tant au niveau local qu’institutionnel ».

Les oppresseurs et leurs machines de propagande nous répètent sans cesse qu’il est impossible d’aspirer à la liberté, à la justice et à l’égalité. Pourtant, grâce au pouvoir du peuple, à notre travail et à notre action collectifs, créatifs, stratégiques et fondés sur des principes, nous rendons l’impossible possible.

Provoquer le désespoir est une stratégie aussi vieille que le colonialisme sioniste en Palestine. Dès 1923, le leader sioniste Ze’ev Jabotinsky écrivait avec lucidité :

« Toutes les populations indigènes du monde résistent aux colons tant qu’elles ont le moindre espoir de pouvoir se débarrasser du danger d’être colonisées. […] La colonisation sioniste doit soit cesser, soit se poursuivre sans tenir compte de la population indigène. Ce qui signifie qu’elle ne peut se poursuivre et se développer que sous la protection d’une puissance indépendante de la population indigène, derrière un mur de fer que la population indigène ne peut franchir. »

Outre les murs concrets et high-tech qui entourent les ghettos palestiniens, en particulier pour Gaza, Israël n’a cessé d’essayer de construire un « mur de fer » dans nos esprits en tentant de nous réduire à des « animaux humains » et de nous isoler de notre environnement arabe naturel et du reste du monde. Il a désespérément tenté d’imprimer dans notre conscience, par une violence coloniale soutenue et indescriptible, l’impératif de nous soumettre à son pouvoir indomptable comme à une fatalité. Né en 2005, inspiré par les luttes qui ont mis fin à l’apartheid politique en Afrique du Sud et aux politiques ségrégationnistes de Jim Crow aux États-Unis, le mouvement BDS a évolué pour devenir un antidote redoutable et plein d’espoir face à ce désespoir induit. Il est devenu un symbole de résilience, de résistance et de régénération.

Comme l’a récemment révélé un rapport d’enquête publié dans The Nation, Israël et ses lobbies aux États-Unis ont à eux seuls alloué quelque 900 millions de dollars à la lutte contre le mouvement BDS en seulement quelques années. En effet, Israël, puissance nucléaire armée jusqu’aux dents par les États-Unis, l’Allemagne et d’autres puissances coloniales, a depuis 2014 qualifié le mouvement non violent BDS de « menace stratégique », puis de « menace existentielle » pour son régime d’oppression. Bien qu’il ait mobilisé d’énormes ressources financières, intellectuelles, juridiques, propagandistes et diplomatiques dans sa guerre contre BDS, Israël a lamentablement échoué à ralentir notre mouvement, grâce à la résilience, à la créativité et au radicalisme stratégique de millions de défenseurs, de partisans et d’organisateurs de BDS à travers le monde.

Le mouvement BDS a fait du principe de « ne pas nuire » un principe éthique fondamental de la solidarité mondiale. Mettre fin à la complicité dans les actes répréhensibles n’est pas un acte de charité. C’est la base de la solidarité, et c’est l’accomplissement d’une obligation éthique profonde de ne pas nuire.

Encouragé et enhardi par la complicité sans limite des forces fascistes et autoritaires aux États-Unis et ailleurs dans l’Occident colonial, Israël tente d’engourdir nos consciences par sa sauvagerie implacable, afin d’exterminer les survivant·es de sa Nakba en cours, non pas progressivement comme il le fait depuis des décennies, mais d’un seul coup. Après tout, l’élimination des autochtones est une caractéristique et non un accident de parcours dans l’histoire du colonialisme, comme le savent trop bien les Amérindien·nes.

Dans ces moments les plus sombres, BDS aide à décoloniser nos esprits de l’impuissance et du désespoir avec lesquels Israël et ses partenaires coloniaux ont sans relâche tenté de les coloniser.

Malgré la propagande bien huilée d’Israël et du mouvement sioniste, leurs intimidations, leurs brimades et leur profonde influence sur les politiciens corrompus, les entreprises génocidaires et les médias, BDS a un impact indéniable.

Par exemple, des universités du monde entier, en particulier en Europe, en Amérique du Nord, en Amérique Latine et en Afrique, ont rompu leurs liens académiques et/ou financiers avec Israël et ses institutions complices de l’apartheid.

Le fond souverain norvégien – le plus important au monde – ainsi que l’Église méthodiste unie et l’Église presbytérienne des États-Unis ont désinvesti des obligations israéliennes et d’autres investissements complices.

Des dizaines de milliers de travailleur·ses culturel·les, et plus récemment plus de sept mille écrivain·nes et éditeur·rices, ont approuvé le boycott culturel d’Israël.

Les gouvernements du Sud Global, comme en Colombie, ont mis en place des sanctions commerciales, des embargos énergétiques et/ou des embargos militaires.

BDS a également joué un rôle clé dans la décision d’Intel d’annuler un investissement de 25 milliards de dollars en Israël et d’accélérer la descente de ce pays vers ce que nous appelons une #ShutDownNation. En fait, le président de l’Institut israélien des exportations a admis que BDS avait « changé le paysage commercial mondial d’Israël ».

Grâce à un réseau mondial massif soutenu par des syndicats, des coalitions d’agriculteur·rices, ainsi que par des mouvements de justice raciale, sociale, de genre et climatique, représentant ensemble des dizaines de millions de personnes, le mouvement BDS est devenu l’un des mouvements de justice les plus efficaces et les plus influents au monde aujourd’hui.

Il se fonde sur le droit international, mais en y apportant un regard critique et en s’efforçant d’étendre son interprétation au-delà des limites initialement fixées par ses fondateur·rices coloniaux.

BDS s’oppose à toutes les formes de racisme, y compris le racisme anti-palestinien, anti-arabe, anti-musulman, anti-noir, anti-autochtone et anti-juif. Aujourd’hui plus que jamais, il est absolument crucial de réaffirmer que l’occupation militaire, le colonialisme, l’apartheid, la famine nazie infligée à des millions de personnes, l’enfermement de centaines de milliers d’autres dans des « camps de concentration » ou le génocide perpétrés par Israël n’ont rien de « juif ». Par conséquent, il n’y a rien d' »anti-juif » à défendre BDS contre le régime d’oppression coloniale d’Israël et contre les entreprises et institutions qui se rendent complices de son maintien.

Angela Davis a récemment déclaré : « La Palestine est véritablement le centre du monde » aujourd’hui. Lorsque des militant·es du monde entier scandent par millions « La Palestine nous libère tous », c’est l’engagement dans une résistance qui donne du pouvoir, en affirmant la vérité aux politiques et aux entreprises. Ce que nous appelons le « radicalisme stratégique » c’est le mouvement de solidarité avec la Palestine, et BDS en son cœur, qui a inspiré à divers mouvements pour la justice à travers le monde, tout comme l’avait fait le mouvement anti-apartheid sud-africain dans les années 1980.

Aujourd’hui, toute une génération de jeunes à travers le monde perçoit Gaza comme le théâtre de la destruction de dizaines de milliers de vies palestiniennes et d’une civilisation datant de 4 000 ans, bénéficiant d’une brutalité et d’une impunité sans précédent de la part de l’axe génocidaire étasuno-israélien. Mais aussi comme le symbole d’une ère dystopique où la loi du plus fort prévaut, en représentant une menace aussi fatale pour l’humanité dans son ensemble que la catastrophe climatique.

Les Palestinien·nes n’ont pas besoin et ne demandent pas de slogans. La majorité absolue de la société palestinienne, en Palestine historique et en exil, représentée par le BNC, a adressé deux demandes simples aux personnes de conscience du monde entier et au mouvement de solidarité mondial :

1/ Respecter l’ensemble des droits du peuple palestinien en vertu du droit international, en particulier le droit des réfugié·es à retourner dans leur pays et à recevoir des réparations ; et

2/ Mettre fin à toute forme de complicité dans les crimes atroces et les violations des droits humains commis par Israël.

Pour conclure, certain·es d’entre vous diront peut-être : « Nous sommes désesperé·es du génocide et nous perdons espoir. »

N’oubliez pas que les Palestiniens·ne n’ont pas le luxe d’abandonner tout espoir de fin du génocide !

Comme le dit l’écrivain britannique d’origine pakistanaise Nadeem Aslam : « Le désespoir se mérite. Personnellement, je n’ai pas fait tout ce que je pouvais pour changer les choses. Je n’ai pas encore mérité le droit de désespérer. »

Depuis un siècle, le peuple palestinien résiste à l’oppression coloniale et n’a jamais abandonné. Nous insistons sur notre « menu complet de droits », comme l’a dit un jour l’archevêque Desmond Tutu. Nous nous efforçons de prospérer dans notre patrie dans la liberté, la justice, l’égalité et la dignité sans faille. Ne tombez pas dans la complaisance tant que vous n’avez pas mis fin à la complicité des États-Unis dans les crimes d’Israël. Ne perdez pas espoir. Vous ne l’avez pas encore mérité.

* Omar Barghouti est cofondateur du mouvement Boycott, Désinvestissement et Sanctions (BDS) pour les droits des Palestinien·nes et co-lauréat du prix Gandhi pour la paix 2017.