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17/11/10

Boycotter Israel, c’est lutter pour une paix juste – Article du Monde – 17/11/10

« Une arme indigne ». Telle serait la nature de la campagne Boycott-Désinvestissement-Sanctions (BDS) contre Israël, d’après les signataires d’une tribune publiée dans Le Monde daté du 2 novembre. Ses auteurs n’hésitent pas à accuser les acteurs de la campagne BDS de prendre le parti de la « censure », de la « séparation » et de la « haine »… Cette lourde charge contre BDS n’est pas la première du genre, mais la longue liste des signataires lui confère une portée singulière, qui appelle commentaires et éclaircissements.

Tout d’abord, les signataires du texte omettent, ou dissimulent, le caractère international de la campagne BDS, en réponse à un appel émanant de la société civile palestinienne en 2005. Cette « entreprise qui commence à faire parler d’elle en France », selon leurs termes, fait en réalité parler d’elle depuis plusieurs années aux quatre coins du monde. Du Canada à l’Australie en passant par l’Afrique du Sud, les Etats-Unis, l’Amérique latine et l’Europe, c’est un mouvement international, non-violent et populaire qui se développe. Syndicats, ONG, associations, Eglises, universités, municipalités, personnalités de renommée mondiale et simples citoyens se retrouvent pour défendre un même objectif : l’application du droit.

En effet, et c’est un deuxième oubli notable de la tribune du 2 novembre, la campagne BDS a pour seule exigence qu’Israël « honore son obligation de reconnaître le droit inaliénable des Palestiniens à l’autodétermination et respecte entièrement les préceptes du droit international ». La campagne BDS n’est pas l’expression d’une haine irrationnelle d’Israël. Comme l’écrit John Berger, écrivain britannique et membre du comité de parrainage du Tribunal Russell sur la Palestine, « BDS n’est pas un principe, mais une stratégie ; ce n’est pas Israël qui est visé, c’est sa politique ; si la politique change (dans le bon sens), le BDS prendra fin ».

Les signataires de la tribune le répètent : « Nous sommes pour la paix ». Mais pensent-ils que la paix est possible sans la justice, c’est-à-dire sans l’application du droit ? Car c’est bien ici que se situe le nœud du problème. Israël refuse depuis des décennies de se soumettre aux règles les plus élémentaires du droit international. Ce sont ainsi plus de 30 résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU qu’Israël a refusé ou refuse encore de respecter, attitude pour le moins paradoxale de la part d’un état créé par une résolution des Nations unies. Chaque jour, avec la colonisation, ce sont les conventions de Genève qui sont violées. En juillet 2004, la Cour internationale de justice (CIJ) demandait à Israël de détruire le mur construit en Cisjordanie : le mur est toujours là, et continue de s’étendre…

Que font nos gouvernements ? Que font les représentants de la communauté des nations ? Exercent-ils des pressions sur Israël ? Non. C’est fort de ce constat que la société civile palestinienne, un an après l’avis de la CIJ concernant le mur, a invité la société civile internationale à se charger elle-même de faire pression sur Israël et sur nos gouvernements, pour que l’impunité cesse. La fin de cette impunité est la seule voie possible vers une paix réelle, où le droit et la justice seraient des principes intangibles et non pas, comme c’est le cas à l’heure actuelle, des objets de négociation.

S’ils ont jugé nécessaire d’avoir recours à l’arme du boycott international, les animateurs de la campagne BDS ne confondent pas tout, contrairement aux signataires de la tribune du 2 novembre.

Evoquant la charte de la campagne BDS France, ces derniers affirment en effet que [pour ses initiateurs], « tout ce qui est israélien serait coupable ». Ils auraient été mieux inspirés s’ils avaient consulté ladite charte, dans laquelle on peut lire que « ce boycott ne vise pas la société israélienne ni les individus qui la composent, en tant que tels, il vise la politique coloniale d’occupation israélienne et ses partisans ».

Notre combat n’est pas fondé sur le rejet d’un peuple. Il s’agit d’exercer une réelle pression sur l’Etat d’Israël, en développant un boycott économique, diplomatique, et un boycott des institutions académiques, sportives et culturelles israéliennes. Ces institutions sont en effet trop souvent utilisées par Israël pour soigner son image et mieux masquer sa politique à l’égard des Palestiniens et son mépris des règles internationales. Michel Platini, président de l’Union européenne des associations de football (UEFA), l’a compris, menaçant d’exclure l’Etat d’Israël de l’UEFA s’il continuait d’entraver le développement du sport palestinien. Desmond Tutu, archevêque sud-africain récompensé par le prix Nobel de la paix en 1984 pour son combat contre l’apartheid, s’est de son côté élevé contre la visite prochainement prévue, en Israël, de la troupe de l’Opéra du Cap. En tant que soutien actif de la stratégie BDS, Desmond Tutu mérite-t-il aussi les titres de saboteur et de naufrageur d’espoir ?

A ceux qui s’inquiètent de la dégradation de l’image d’Israël et qui accusent la campagne BDS d’en être responsable, nous disons qu’Israël est le seul auteur de cette dégradation. En violant chaque jour le droit international, en commettant des actes criminels comme les bombardements massifs sur Gaza en 2008-2009 ou l’assaut sanglant contre la Flottille de la liberté, en poursuivant le blocus de Gaza, la construction de colonies et l’arrachage des oliviers, Israël ne peut susciter qu’un rejet de plus en plus fort. Au-delà de ce rejet, cette fuite en avant meurtrière met en danger la population israélienne elle-même : c’est pourquoi à l’intérieur d’Israël se développe le mouvement de Boycott From Within, au sein duquel des pacifistes, intellectuels, artistes… se sont regroupés pour appeler la société civile internationale à amplifier BDS.

Pour toutes ces raisons, nous affirmons : tant que l’Etat d’Israël ne respectera pas le droit international et tant que nos gouvernements n’exerceront pas de véritables pressions pour qu’il le fasse, nous développerons BDS. Nous savons, fort du précédent sud-africain et de la campagne victorieuse de boycott contre le régime d’apartheid, que cette arme, loin d’être indigne, peut être noble et efficace lorsque les circonstances l’exigent. C’est le cas aujourd’hui. La campagne BDS est l’expression de la volonté de tous ceux qui pensent qu’il est encore possible d’agir et d’éviter le pire pour les peuples de la région. Car tant que le droit sera bafoué et que l’impunité durera, aucune paix ne sera possible.

 


En soutien à l’appel palestinien « Boycott, Désinvestissement, Sanctions » de 2005 et à la Campagne française BDS :

Nicole Kiil-Nielsen, députée européenne (Les Verts),

Patrick Le Hyaric, député européen (Gauche unitaire européenne, PCF),

Olivier Besancenot, porte-parole du Nouveau parti anticapitaliste (NPA),

Monique Cerisier Ben-Guiga, sénatrice (PS), présidente du groupe d’information internationale France-Territoires palestiniens du Sénat,

Alima Boumédiène-Thiery, sénatrice (Les Verts),

Patrick Braouezec, député de Seine-Saint-Denis (FASE, ex PCF),

Clémentine Autain, directrice de « Regards », membre de la Fédération pour une alternative sociale et écologique (FASE),

Annick Coupé, porte-parole nationale de l’Union syndicale Solidaires,

Stéphane Tassel, secrétaire général de la FSU,

Mouloud Aounit, co-président du Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples (MRAP),

Monseigneur Jacques Gaillot, évêque,

Eric Hazan, éditeur,

Gérard Toulouse, directeur de recherche au CNRS, membre de l’Académie des sciences,

Mireille Fanon-Mendès France, Fondation Frantz Fanon, membre de l’Union juive française pour la paix (UJFP),

Gilbert Achcar, politologue, écrivain et professeur à l’université de Londres et Paris-IIX,

Nabil El Haggar, universitaire, membre de l’Association des universitaires pour le respect du droit international en Palestine (AURDIP),

Jean-Marie Muller, membre fondateur du Mouvement pour une alternative non-violente (MAN),

Omar Barghouti, palestinien, membre fondateur de la « Palestinian campaign for the academic and cultural boycott of Israel » (PACBI),

Scandar Copti, palestinien, réalisateur et co-auteur de Ajami (mention spéciale à la caméra d’or du festival de Cannes 2009),

Juliano Mer Khamis, palestinien, acteur et réalisateur, fondateur du Théâtre de la Liberté à Jénine,

Michel Warschawski, israélien, journaliste, membre fondateur du Centre d’information alternative (AIC) et de la campagne « Boycott from within »,

Eyal Sivan, israélien, réalisateur, auteur de Jaffa, la mécanique de l’orange (2009) et membre de la campagne  « Boycott from within »,

Yael Lerer, israélienne, éditrice, membre fondatrice des éditions Andalus, spécialisées dans la traduction vers l’hébreu d’œuvres littéraire en langue arabe, de la campagne « Boycott from within » et de la Coalition des femmes pour la paix (Tel Aviv).

http://www.lemonde.fr/idees/article/2010/11/17/boycotter-israel-une-lutte-pour-une-paix-juste_1440957_3232.html