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19/07/13

Quand nos impôts financent (indirectement) les colons d’Israël

En France, la loi permet de réduire son impôt sur le revenu grâce à des dons à « certains organismes ayant un caractère d’intérêt général ». Un don de 150 euros revient par exemple à seulement 37,5 euros au donateur, une fois l’abattement sur son impôt effectué.

Cette disposition représente un manque à gagner brut certain pour l’Etat mais est évidemment juste et utile. Elle permet en effet à nombre d’associations, fondations et aux partis politiques de vivre et d’agir sur le terrain, en particulier dans le domaine humanitaire. Elle est garante d’une société civile vivante et dynamique et est donc, en elle-même, d’utilité publique. Rien ne justifierait une quelconque remise en cause… même par temps de disette budgétaire.

Mais que vient faire l’association franco-israélienne Hasdei Avot dans la liste des bénéficiaires potentiels de cette disposition ? Depuis quand nos impôts (même de façon indirecte) doivent-ils servir à appuyer et financer la colonisation israélienne en Cisjordanie, que la diplomatie française ne cesse pourtant officiellement de condamner ?

L’association Hasdei Avot, organisme de bienfaisance de la colonie de Kiryat Arba, en périphérie d’Hébron, sollicite en ce moment nos dons par courriel pour financer les vacances des enfants des colons.

Collée à la vieille ville d’Hébron, dont la population palestinienne est soumise à un ordre militaire israélien vexatoire et particulièrement choquant, Kiryat Arba est généralement considérée comme la colonie israélienne la plus radicale de Cisjordanie. Au centre de Kiryat Arba, le décor est planté ; y trône la statue de Baruch Goldstein, qui en 1994 dans la mosquée d’Abraham à Hébron a massacré 29 Palestiniens et blessé 125 autres à l’arme automatique. Visiter Hébron et ses environs, c’est s’approcher au plus près du caractère inique et sinistre de la colonisation israélienne et de l’occupation militaire… peut-être même plus encore qu’à Gaza.

Les critères de l’administration fiscale

Capture d’écran de la page « Don de France » sur HasdeiAvot.org (HasdeiAvot.org)

Malgré les dizaines de visites que j’ai effectuées là-bas au cours des deux années que j’ai passées en Palestine, je n’ai jamais pu me faire à cette violence et à la déshumanisation subie au quotidien par les Palestiniens (la semaine dernière c’était un enfant de 5 ans qui était arrêté par l’armée). Et je ne suis visiblement pas le seul… tant les récits des mécanismes de la violence abondent et tant la ville constitue pour tout militant de la cause palestinienne ou simple curieux un passage obligé.

Pourquoi la France reconnaît-elle donc à l’association Hasdei Avot un quelconque « caractère d’intérêt général » ? Répond-elle aux critères formulés par l’administration fiscale ? Celle ci-précise sur son site internet :

« L’organisme doit respecter les trois conditions suivantes : être à but non lucratif, avoir un objet social et une gestion désintéressée, ne pas fonctionner au profit d’un cercle restreint de personnes. »

Une population de colons (dont les enfants apparaissent de toute évidence comme instrumentalisés par leurs aînés) n’est-elle pas justement un « cercle restreint de personnes » ? L’entreprise de colonisation, par la violence, la spoliation et la vexation quotidienne est-elle un « objet social » ? Est-elle même « désintéressée » ?

« Maintenir la présence juive »

Capture d’écran de HasdeiAvot.org (http://www.hasdeiavot.org/presentation/)

Quant au « centre aéré » que « nos » dons sont censés financer, qu’enseigne-t-il aux enfants ? La coexistence pacifique ? Le site de Hasdei Avot donne quelques indices : son objectif est de « maintenir la présence juive dans la ville des Patriarches [Hébron, ndlr] ». Des « pauvres » Palestiniens qui auraient légitimement droit à l’assistance d’une association humanitaire « désintéressée » et qui seraient sans doute heureux d’avoir eux aussi droit à des vacances, il n’est point question.

Le centre aéré financé par Hasdei Avot, non mixte évidemment car réservé aux filles, répond-il même au critère de la « sainte » laïcité « à la française » ? Accepterait-on de voir les deniers publics financer, même de façon indirecte, les « colonies de vacances » de Troisième Voie, organisation d’extrême droite française dissoute il y a peu ? Celles de la secte Moon en Corée du Sud ? Celles « réservées aux Blancs » du Ku Klux Klan ou des nostalgiques de l’apartheid sud-africain ? Ou celles du gouvernement élu du Hamas dont on critique volontiers les raccourcis nationalistes et la valorisation de la résistance armée ?

Sans doute est-il aujourd’hui temps de cesser cette incroyable exception dont jouissent nombre d’associations franco-israéliennes qui œuvrent en faveur de la colonisation israélienne et le font avec les deniers publics.

Sans doute est-il enfin temps pour notre gouvernement d’accepter que le rejet de la colonisation et la mise en application des principes républicains qui nous sont chers passent non seulement par des paroles mais aussi par des décisions politiques courageuses… En l’espèce, notre conscience et notre déficit public ne s’en porteraient que mieux.

http://www.rue89.com/2013/07/17/quand-impots-financent-indirectement-les-colons-disrael-244289


Laurent Bonnefoy est chercheur au CNRS en sciences politiques. De retour d’un séjour de deux années en Palestine, il est « inondé de messages d’associations communautaires de soutien à Israël » depuis qu’il s’est inscrit (comme simple électeur) sur les listes électorales lors de la campagne législative pour les députés de l’étranger en 2012. Il a découvert à cette occasion que certaines associations de colons israéliens étaient en partie financées grâce aux deniers publics français. M.D.