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10/06/16

Ronni Kasrils, vétéran de la lutte contre l’apartheid sud-africain : « Opposez-vous aux tentatives d’interdiction du BDS ».

Le vétéran de la lutte contre l’apartheid sud-africain, Ronni Kasrils, estime que les tentatives d’interdiction du militantisme pour le boycott, le désinvestissement et les sanctions (BDS) contre Israël sont « absolument grotesques » et que les militants doivent s’opposer à de tels efforts.


Par : Adri Nieuwhof – Article 1 Collective

Ronni Kasrils, au Tribunal Russel

Le vétéran de la lutte contre l’apartheid sud-africain, Ronni Kasrils, estime que les tentatives d’interdiction du militantisme pour le boycott, le désinvestissement et les sanctions (BDS) contre Israël sont « absolument grotesques » et que les militants doivent s’opposer à de tels efforts. Le mois dernier, j’ai eu un entretien avec Kasrils à propos de ce qu’il pensait du BDS et de l’apartheid, lors de sa venue à Amsterdam.
Pendant des décennies, Kasrils a lutté contre l’apartheid en tant que membre du Congrès national africain (ANC) et du Parti communiste. Il a participé à des opérations de la branche militaire de l’ANC, Umkhonto we Sizwe (Fer de lance de la nation). Après la chute de l’apartheid, il a servi comme vice-ministre dans plusieurs gouvernements.
Kasrils est né à Johannesburg en 1938, petit-fils d’immigrants juifs de Lituanie et de Lettonie qui ont fui les pogroms tsaristes pour l’Afrique du Sud à la fin du 19e siècle.

Le BDS a contribué au changement
« Il a œuvré brillamment », s’empresse de répondre Kasrils à ma question si le BDS contre le régime d’apartheid sud-africain avait eu un impact.
« Le BDS a rendu les Blancs en Afrique du Sud vraiment furieux. Mais vous les avez épuisés avec le BDS. Il est arrivé un moment où ils ne pouvaient plus le supporter, et ils ont voulu que ça change ».
Un membre du Parti national au pouvoir a dit à Kasrils que la décision de la banque britannique Barclays de se retirer d’Afrique du Sud en 1988, – après une présence de plus de 150 ans –, « a été la dernière goutte qui a fait déborder le vase ». Il rappelle que le militantisme international pour le BDS a commencé par un boycott des fruits par les consommateurs, comme les oranges, les raisons et les pommes Outspan. Dans les années 1970, Peter Hain en Grande-Bretagne a commencé à perturber les jeux de sport. Avec un groupe, il est descendu sur un court de tennis à Bristol et il a bloqué l’équipe d’Afrique du Sud. « Cela s’est propagé comme une traînée de poudre et est parvenu à d’autres pays ». Le boycott était ouvert à une interprétation créatrice et il est devenu un moyen important pour toucher et attirer les populations.
Puis, des régimes de retraite d’Églises et des syndicats à travers le monde en sont venus à se désinvestir d’entreprises sud-africaines ou d’entreprises qui avaient investi en Afrique du Sud. Ce qui a eu un gros impact.
En 1985, en Amérique, les travailleurs de Kodak ont pris conscience de l’ampleur de la souffrance imposée aux Sud-Africains noirs. Le peuple afro-américain a été pour beaucoup dans la mobilisation anti-apartheid. Grâce à ses sénateurs et représentants au Congrès, le lobby noir a commencé à faire peser une pression énorme sur les entreprises et les banques. La Chase Manhattan a été la première banque à rompre ses liens avec l’Afrique du Sud.
 
Interdire le BDS est grotesque
Kasrils dit qu’il soutient le militantisme du BDS contre Israël à cent pour cent. Et il ajoute qu’il faut s’opposer aux tentatives visant à rendre illégal le BDS aux États-Unis, au Canada, en France et au Royaume-Uni.
« Il est absolument grotesque que des gouvernements doivent utiliser une loi pour mettre fin au droit à la liberté d’expression des populations pour lesquelles le BDS constitue un moyen pacifique pour apporter de l’aide et une solidarité au peuple palestinien.
« Ces gouvernements doivent aider le processus dans son ensemble. Et ensuite, il y aura plus de calme et de paix pour la population de Palestine et d’Israël, et de tout le Moyen-Orient. Israël est une puissance nucléaire avec un nombre considérable d’armes nucléaires, et des gens de l’extrême droite qui le gouvernent. La population demande du sang, pas seulement le sang des Palestiniens, mais aussi celui des peuples de la région, et de gens comme Omar Barghouti qui simplement parlent du droit au BDS ».
« Israël est un pays qui présente les pires formes d’injustice, de meurtres, qu’on a vues depuis très longtemps. Il est de ces pays qui, à propos, sont souvent désignés comme fascistes ».
 
Pire que l’apartheid
Kasrils s’est rendu en Israël et en Palestine à plusieurs reprises. Quand je l’ai interrogé sur ses expériences, il a répondu : « Il existe de façon certaine des similitudes ». En 1984, le Conseil de Sécurité des Nations-Unies a approuvé la définition qu’avait adoptée l’Assemblée générale en 1966, selon laquelle l’apartheid constitue un crime contre l’humanité. La Convention de l’Apartheid ne dit pas « l’apartheid sud-africain », elle est plus large, observe Kasrkils.
La définition de l’apartheid fait mention d’actes inhumains commis en vue d’instituer ou d’entretenir la domination d’un groupe racial d’êtres humains sur n’importe quel autre groupe racial d’êtres humains et d’opprimer systématiquement celui-ci. Vous devez mettre en application cette définition pour établir si Israël est en train de mettre en œuvre un apartheid.
Tout Sud-Africain qui s’est engagé dans la lutte pour la liberté et qui s’est rendu en Palestine et en Israël dit, « C’est comme l’apartheid », poursuit Kasrils. « La séparation des populations, les mesures utilisées, ces files d’attente aux check-points, l’humiliation, sont comme l’apartheid. »
L’archevêque Desmond Tutu et de nombreuses autres personnes ont dit qu’en réalité, c’est même pire que l’apartheid.
« Nous avons rarement vu l’apartheid larguer des bombes sur les gens ou pénétrer dans les ghettos noirs avec des chars d’assaut et des tirs d’artillerie lourde comme à Gaza. En Afrique du Sud, nous avons vu des massacres atroces et nous avons eu des situations où l’état d’urgence a été déclaré, où le mouvement du peuple noir a été contrôlé, avec des sièges comme à Soweto. Cela durait quelques semaines. Pas année après année comme en Cisjordanie ou à Gaza », se souvient Kasrils.

Le changement aura lieu
Beaucoup de gens doutent qu’Israël changera et qu’il respectera les droits du peuple palestinien.
Cependant, Kasrils est certain qu’il changera : « Israël est un exemple d’État colonial qui subsiste, qui s’est emparé de la terre du peuple palestinien, l’a dépossédé de sa terre et de ses droits, a utilisé les méthodes les plus épouvantables tout au long de l’histoire d’Israël. Nous, Sud-Africains, nous sommes passés par un processus atroce sous l’apartheid. Nous reconnaissons que c’est ce qu’il se passe pour le peuple palestinien. Nous nous tenons résolument derrière lui en solidarité, et nous appelons les gouvernements à se mettre en conformité avec les résolutions des Nations-Unies. Ce qui signifie : la fin de l’occupation, la fin du siège de Gaza, le droit des réfugiés à revenir. La seule façon pour que les juifs d’Israël puissent être sûrs de vivre en sécurité, c’est qu’ils reconnaissent les droits de leurs semblables, ceux du peuple palestinien ».
Il a été un temps où les gens sentaient qu’il pourrait y avoir une fin à l’apartheid en Afrique du Sud, poursuit Kasrils. L’État blanc avait été très fort. Il a eu d’énormes ressources, et le soutien de l’Occident, notamment de ces mêmes pays qui soutiennent Israël aujourd’hui.
Il s’en est allé à vau l’eau, parce que les gens en Afrique du Sud ont été déterminés. Pour réaliser un changement, il faut l’unité, la détermination, de bons dirigeants, la bonne stratégie, une vision pour l’avenir. Finalement, le résultat pour une juste cause est certain, quel que soit le temps qu’il faut. L’Afrique du Sud a prouvé cela.

Resist efforts to outlaw BDS, says anti-apartheid veteran Ronnie Kasrils 

Traduction : JPP pour BDS France